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Channel: Perles d'Orphée
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Swing is easy, for sure !

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Leçon de golf ou leçon de danse ?

Golf colère- Mon pauvre Paul, le green a dû bouger car ta balle en est bien loin, et dans le ruisseau. Et toi, cher Alex, la tienne doit être chargée de plomb pour n’avoir franchi que quelques misérables mètres. Oui, je sais, évitons de parler de la mienne, perdue dans l’épaisse forêt, là-bas, tout à gauche.

Et nos professeurs, depuis des lustres, ne cessent de nous dire : " C’est facile le golf ! ",  en replaçant sempiternellement devant nous la prochaine balle d’entrainement qui nous conduira à décliner une longue procédure, avec l’esprit d’abord, avec le corps ensuite, pour finir par envoyer ce petit objet de torture exactement où nous ne voulions pas qu’il aille.

Alors, pour trouver le bon geste, nous passerons des heures à regarder jusqu’à en imprégner nos rêves les vidéos des meilleurs, ceux qui ont ajouté au don une immense part de travail pour gagner les plus grands tournois du monde. Et cependant, de nouveau sur le terrain, toujours nos épaules feront ceci en plus, nos hanches, cela en moins… et notre balle ne nous obéira que par l’effet d’un miracle.

Peut-être ferions-nous mieux d’apprendre la danse. Après tout le swing n’est rien d’autre, n’est-ce pas ?

La preuve par Fred Astaire… Avec les fers et avec les bois.

Rendez-vous au practice !

Ah ! Vraiment c’est facile le golf !

Petit conseil complémentaire : ne pas oublier de faire quotidiennement quelques heures d’exercices d’assouplissement pendant une bonne vingtaine d’années. Ou, si ce n’est pas possible, jouer un petit air d’harmonica avant l’entrainement, en guise d’échauffement…



Rue des artistes – Artistes des rues

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" Dans les plis sinueux des vieilles capitales,
" Où tout, même l’horreur, tourne aux enchantements… "                                                                                               ( Baudelaire – " Les petites vieilles " )

Street-Art-Paris - David Walker

Street-Art-Paris – David Walker

Plus trop d’enchantement au détour de nos rues ! Le plus souvent, hélas, inutiles balafres sur les murs et les portes, des tags hideux signent le rien violent d’égos désespérés. Les cœurs sont effacés, brisées les flèches qui les transperçaient, noircies de haine les initiales qui les faisaient souvenirs de bonheurs éphémères.

Désormais, bien souvent, dans nos vieilles capitales, droguées de bruit, et de tout et de trop, c’est en horreur que tourne ce qui jadis était enchantement.

Et pourtant, quelquefois, sur une place piétonnière, un sourire, une acrobatie, un mime ou une danse. Et la ville s’éclaire des lumières d’un geste, du regard amoureux d’une marionnette, des jongleries d’un clown, des facéties d’un magicien : ils sont venus, les artistes des rues, égayer nos quotidiens sinistres.

« Viens voir les comédiens… ! »

Mime - Marcel Marceau

Mime – Marcel Marceau

Regarde Colombine cet Arlequin sans tréteaux qui fait des entrechats pour te séduire !

Écoute Roxane ce Cyrano, sous son balcon imaginaire, te dire le charme d’un baiser !

Et toi petit Poucet, lève les yeux ! Vois là-haut ce saltimbanque qui s’envole pour te cueillir un bout de ciel !…

C’est la fête ! Pour un moment inattendu la ville s’embrase de l’illusion d’un bonheur germé dans les errances et les souffrances d’espoirs contrariés.

« Viens voir les comédiens !

« Demain matin quand le soleil va se lever
« Ils seront loin,
« Et nous croirons avoir rêvé. »

♠  ♥  ♦  ♣

Une des chorégraphes les plus douées de notre époque, la jeune canadienne Aszure Barton, a investi la rue avec sa troupe de danseurs.

Un enchantement dans un pli sinueux de vieille capitale : Busk*

* To busk : jouer, chanter dans la rue

♠  ♥  ♦  ♣


À la nôtre !

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Homère - Philippe-Laurent Roland-1812

Homère – Philippe-Laurent Roland-1812

Un toast à notre santé

Nous sommes les derniers de notre caste
Il ne nous reste plus très longtemps à vivre
nous sommes les petits marchands de bonheur
les artisans de mots cordiaux
Bientôt viendront nous relever
les foules au sang trop mou
les mécaniciens de la gloire du fer
et les industriels de l’amour
dont la vie est remplie de principes et de machines
Qui ne disposent que de 7 minutes pour caresser la fiancée
et de trois secondes pour la poésie
Avec des nerfs d’acier pareil à des rails
Ce n’est pas une insulte mais une flatterie
De midi à midi et demi ils iront manger
et prier
Ainsi donc, filles, femmes,
amourachez-vous des porteurs de miracles
Nous sommes les dernières lézardes
que le progrès n’a pas encore envahies
Aimez-nous tant qu’il reste du temps encore
Nous, les petits marchands de bonheur
les artisans de mots cordiaux.

Vadim Cherchinievich (Poète russe début XXème)

In Yvan Goll – "Les cinq continents" Anthologie mondiale de la poésie contemporaine – 1922


La musique… sans le son

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La musique sans le son. Absurdité ?  Un koan peut-être ?  Une provocation lancée aux pages de ce blog ?

La musique sans le son ? Oui ! c’est bien le titre du billet. Une gageure.

Une fois n’est pas coutume ! Et même si nous voulions – parce que devenu sourd – que cette fois le devienne, il nous faudrait sans doute, pour reproduire l’évènement, chercher loin et longtemps. Pour parvenir finalement aux évidentes conclusions que le cinéma muet – qui ne projetait, dit-on, que des images – ne nous manque pas du tout, et que Sacha Guitry nous est indispensable.

La musique sans le son, c’est à la fois, le constat d’une absence que ne savait combler la technologie cinématographique d’un autre temps et un défi proposé à la créativité de l’artiste pour remplir ce vide sonore. Autrement dit, et de manière plus concrète, comment, au temps du cinéma muet, entendre lors de la projection, la musique du musicien qui jouait devant la caméra ?

Mais, nous nous garderions bien de tenter ici une réponse. Surtout pas ! Et encore moins quand elle peut nous être servie sur un plateau d’argent par le Maître lui-même, racontant dans la belle langue qu’on lui connaît les étapes de son expérience réussie.

Je gage qu’après avoir visionné cette vidéo d’archive, brillant témoignage d’un formidable passé, vous prendrez une profonde inspiration, le regard tendu vers le ciel, et que vous direz, les narines un rien pincées dans une longue expiration emphatique, à peine surjouée, à la manière de qui vous savez :

- Ah ! Le parlant. Quel bonheur !


Fillette, mitraillette, poète… Cherchons l’erreur !

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UZI

Pistolet mitrailleur UZI

Ce n’est pas le genre d’images qu’on vient habituellement chercher dans les pages de ce blog, ni ce type de propos, et pourtant… La colère, quand l’imbécilité de l’être humain, à force de multiplier les comportements démoniaques qu’elle inspire, atteint pour une milliardième fois à son paroxysme, ne peut rester muette. Il est des moments où se réfugier dans l’abri douillet d’un intérieur de Vermeer, ou gonfler ses oreilles des arpèges mélodieux d’un prélude de Rachmaninov, pour se refuser à voir l’horreur, ou à l’entendre, devient insupportable à soi-même. Alors, même si cela ne sert à rien, même si la petite voix fluette d’un pantin désarticulé n’a aucune chance de couvrir les grondements sinistres de l’ogre, elle doit s’exprimer.

Les occasions n’ont certes pas manqué – une vie déjà longue au milieu de ses semblables ne laisse pas que de belles images, loin s’en faut. Et il serait bien inutile de citer tel évènement plutôt que tel autre, individuel ou collectif qu’importe, c’est toujours le même qui change sa forme au gré des circonstances et des géographies : un ego trop aveugle pour apercevoir sa propre image dans le miroir de l’autre.

Les guerres, les attentats, les génocides, les crimes sont le lot quotidien de notre humanité veule et cupide, et pourtant, un seul fait divers, qu’hélas on qualifierait d’anodin considéré au regard de cette effroyable liste, fait déborder la coupe.

Hier, en Arizona, une petite fille de 9 ans en vacances avec ses parents prenait une leçon de tir avec un moniteur qualifié dans un établissement reconnu. Jouer à la poupée à 9 ans, voire pianoter sur sa play-station, étant à l’évidence pour les parents une activité autrement plus avilissante et moins instructive que de se consacrer au geste qui tue. Et le geste, bien involontairement, accident terrible, a tué. Une petite fille de 9 ans, même affublée du meilleur G.I. pour instructeur, doit avoir bien du mal, il est vrai, à contrôler un des fusils-mitrailleurs les plus prisés par les gens d’armes du monde entier. Un arme de 70 centimètres de long et de plus de 4 kilos chargée, qu’elle découvrait pour la première fois (étonnant, n’est-ce pas, à cet âge!). De l’arme non maitrisée, – capable de lâcher 600 coups par minute à une vitesse de 4 mètres par seconde –  sont parties quelques rafales, au hasard, et une série de balles a atteint mortellement l’instructeur.

Drame terrible, pour cet homme, évidemment.

Mais pour cette enfant qui commence sa vie…?

UZI drame USA 2014-08-27

Photo prise quelques secondes avant le drame

Pour elle, qui ne lira pas ce billet, qui ne connait sans doute pas notre langue, qui n’a jamais entendu parler de Leconte de Lisle, et qui ne se pose même pas la question de savoir ce qu’étaient les hommes de 1872, ce poème, une vision d’un autre siècle…

Puisse-t-elle un jour écrire le même !… Et le dédier, cela va de soi, à ceux " qui mourront bêtement en emplissant leurs poches "

Pas sûr qu’il la rendra riche et célèbre, pas sûr qu’il sera le dernier du genre.

Aux modernes (1872)

Vous vivez lâchement, sans rêve, sans dessein,
Plus vieux, plus décrépits que la terre inféconde,
Châtrés dès le berceau par le siècle assassin
De toute passion vigoureuse et profonde.

Votre cervelle est vide autant que votre sein,
Et vous avez souillé ce misérable monde
D’un sang si corrompu, d’un souffle si malsain,
Que la mort germe seule en cette boue immonde.

Hommes, tueurs de dieux, les temps ne sont pas loin
Où, sur un grand tas d’or vautrés dans quelque coin,
Ayant rongé le sol nourricier jusqu’aux roches,

Ne sachant faire rien ni des jours ni des nuits,
Noyés dans le néant des suprêmes ennuis,
Vous mourrez bêtement en emplissant vos poches.

Leconte de Lisle (Poèmes barbares)


La nuit 22 – Questionnements

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Barry Yanowitz - Misty night red

Barry Yanowitz – Misty night red

La ville le soir et toi

Vous êtes toutes nues dans mes bras

         la ville la nuit et toi

votre clarté illumine mon visage

         et puis le parfum de vos cheveux

A qui ce cœur qui bat

au-dessus du murmure de nos souffles palpitants

           est-ce ta voix, celle de la ville, celle de la nuit

           ou bien la mienne ?

Où finit la nuit, où commence la ville

Où finit la ville, ou commences-tu toi

                Où est ma fin, où est mon commencement ?

Nâzim Hikmet – 1959

Extrait "Il neige dans la nuit et autres poèmes," (Poésie/Gallimard)

 

Barry Yanowitz - A rainy night in Union Square

Barry Yanowitz – A rainy night in Union Square

Les photos de Barry Yanowitz sont publiées avec l’aimable autorisation de leur auteur.

Son site : http://barryyanowitz.com

 


Enfants, n’oubliez pas votre Canon !

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On lui avait dit : " dans le Gers, le soir, tu risques de t’ennuyer, il n’y a pas grand monde ".

- " Tu n’auras qu’à travailler ton piano ", enchaîna sa mère avec le ton protecteur qui lui étai habituel. " C’est un bon devoir de vacances ! "

- Profites-en donc pour préparer le fameux "Canon de Pachelbel" ! Il te faudra me le jouer à ton retour, et sans une faute, n’est-ce pas ? ajouta, l’index commandeur levé, son professeur qui aurait voulu paraître plus autoritaire qu’il ne l’était vraiment.

Et forte de ces dernières observations dans le hall de l’aéroport de Tokyo-Haneda, elle embarqua pour Marciac, petit village de notre beau Sud-Ouest, qui abrite dix fois moins d’âmes qu’il ne fallut à Hiromi franchir de kilomètres pour le rejoindre.

Les vacances furent particulièrement studieuses : salopette de travail, réglages des cordes, accord et mise en doigts… sans jamais perdre le sourire. Le tout dans un calme et un silence que, bien sûr, une mouche elle-même n’aurait pas osé briser.

Voilà qui ne pouvait que satisfaire parents et professeur dont les conseils avaient été suivis à la note près… ou presque.

La vidéo du séjour les surprit un peu… En voici un extrait !

Hiromi, à coup sûr, n’avait pas oublié son Canon !

Il faut toujours veiller à ce que les enfants emportent un Canon en vacances !

Johann Pachelbel (1653-1706 Nuremberg)

Johann Pachelbel (1653-1706 Nuremberg)


" Le rendez-vous "

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Les enfants qui s’aiment s’embrassent debout 
Contre les portes de la nuit 
Et les passants qui passent les désignent du doigt 
Mais les enfants qui s’aiment 
Ne sont là pour personne 
Et c’est seulement leur ombre 
Qui tremble dans la nuit 
Excitant la rage des passants 
Leur rage, leur mépris, leurs rires et leur envie 
Les enfants qui s’aiment ne sont là pour personne 
Ils sont ailleurs bien plus loin que la nuit 
Bien plus haut que le jour 
Dans l’éblouissante clarté de leur premier amour. 

Jacques Prévert

La guerre est finie. Paris pose pour Brassaï, un "cancre" de génie nommé Prévert écrit sa poésie sur les bords de la Seine et Kosma la met en musique. Les trois hommes se rencontrent près des Halles, dans une petite pièce, derrière la cuisine d’un bistro dont le propriétaire n’est autre que le père d’un jeune chorégraphe d’à peine plus de 21 ans. Le talent du jeune homme n’a d’égal que la vitalité qu’il  exprime dans ses engagements pour son art. D’ailleurs, c’est grâce au magnétisme qu’exerce sur eux ce garçon que les trois artistes se retrouvent réunis là. On ne le sait pas encore, mais son nom va briller de mille feux dans l’univers de la danse, et au-delà, il s’appelle Roland Petit. Pour l’heure, Il écoute, passionné, Prévert développer l’argument du futur ballet :  "Le Rendez-vous", celui d’un jeune homme avec "la plus belle fille du monde".

Il va chorégraphier leur rencontre sur la musique de Kosma, les faire danser ensemble un pas de deux ultime dans une atmosphère aussi sombre que poétique dans les rues du Paris saisi par l’objectif de Brassaï. Il obtiendra même de Picasso qu’il dessine le rideau de scène.

Mais ce n’est pas un rendez-vous banal ; le destin veille : près de l’escalier du pont de Crimée, le jeune homme va tomber sous le coup décisif et fatal de celle qui vient de le séduire. Il ne savait pas qu’il avait rendez-vous avec la Mort.

Ce pas de deux, pas de rue, est ici interprété par Isabelle Ciaravola, envoûtante veuve noire aux jambes interminables, "la plus belle fille du monde", et par Nicolas Le Riche, qui communique à ce pauvre "jeune-homme" pris dans les rets de son inéluctable destin, son charisme et son formidable talent.

Et si pour le plaisir, au-delà de la danse elle-même, de retrouver cette ambiance des rues du Paris de la fin des années 1940 transposée sur la scène, et de fredonner les chansons de Prévert et Kosma, on souhaite se délecter de ce court ballet dans son intégralité, en voici la version intégrale.

On y côtoie, Michael Denard, Le Destin – Hugo Vigliotti, Le Bossu – Pascal Aubin, Le Chanteur – et les danseurs, passants et passantes, du Corps de Ballet et de l’École de danse de l’Opéra de Paris.

"Le rendez-vous"  à ne pas manquer !

Un clic sur une photo ouvre la galerie (photos agrandies)

Brassai autoportrait Picasso Kosma et Prevert Roland Petit

La leçon de Pierrot

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Bobèche, adieu ! bonsoir, Paillasse ! arrière, Gille !
Place, bouffons vieillis, au parfait plaisantin,
Place ! très grave, très discret et très hautain,
Voici venir le maître à tous, le clown agile. 

Paul Verlaine  (Le clown)

Jean-Gaspard Deburau (1796-1846)

Jean-Gaspard Deburau (1796-1846)

C’est ainsi, sans doute, que Monsieur Loyal, si tant est qu’il y en ait eu un au Théâtre des Funambules, rue du Temple à Paris dans les années 1830, et si Verlaine avait pris soin de naître plus tôt, aurait pu présenter dans sa harangue au public, le Pierrot enfariné, Baptiste, éternel rêveur amoureux de sa Colombine, qui chaque soir, dans sa tenue immaculée, venait servir ses malicieuses pantomimes aux spectateurs enchantés, parmi lesquels il n’était pas rare de rencontrer Monsieur Théophile Gautier, ou Monsieur Théodore de Banville, et même parfois Monsieur Charles Baudelaire.

Derrière le maquillage livide, Jean-Gaspard Deburau, né à la fin du XVIIIème siècle à Amiens de l’union d’une mère venue de Bohème et d’un soldat français, faisait le plaisir et l’admiration  des "naïfs et des enthousiastes", comme il aimait à qualifier son fidèle public avec  humour et gentillesse.

Comment l’amoureux inconditionnel du théâtre et du métier de comédien qu’était Sacha Guitry, aurait-il pu résister à l’envie d’incarner cet illustre personnage capable de réaliser chaque soir avec le même bonheur cette incroyablement difficile performance, gageure des gageures : faire rire ?

En février 1918, le Théâtre du Vaudeville met à l’affiche une pièce signée Sacha Guitry : "Deburau". Un orchestre, pour accompagner les comédiens, y joue la musique composée par André Messager.

Deburau - Guitry affiche

En 1951, le cinéma, depuis de nombreuses années, a fini par gagner le cœur de l’éternel comédien-auteur de théâtre. Décidant de transposer "Deburau" à l’écran, Guitry imagine le mime célèbre du Théâtre des Funambules sollicité, mais en vain, par les femmes les plus séduisantes, fidèle qu’il veut rester à sa chère épouse. Mais, un soir, une dame portant  un camélia à la ceinture ne le laisse pas indifférent. Deburau s’éprend de Madame Duplessis… Passion impossible.

Le personnage accorde une large place à la parole certes – un peu trop sans doute pour un mime pour qui seul le rire a droit de déchirer le silence – , mais quand cette parole est écrite et dite par Sacha Guitry…

Ce rôle, très empreint du romantisme qui envahit la vie du Maître à cette époque, souffrant physiquement d’une part, et encore très amère des injustes attaques portées contre lui à la  Libération d’autre part, Guitry le voulait comme son testament spirituel. Et c’est, sans conteste, dans l’admirable tirade de Deburau exaltant le métier de comédien auprès de son fils qui s’apprête à lui succéder, que Sacha Guitry exprime le mieux cet amour de la scène qui le représente tant.

Magnifique leçon d’un Pierrot à qui l’on pardonne volontiers qu’il fasse usage de sa voix, et nouvelle occasion de regretter qu’elle se soit tue.

Mais, rappelons-nous, Deburau, dans son rôle de "Baptiste", témoin peu loquace mais ô combien explicite, nous l’avions déjà rencontré un jour de fête à la fin des années 20 (1800, bien sûr) sur le "Boulevard du Crime"  (rue du Temple). C’était au travers des images du film "Les enfants du Paradis", lorsque Marcel Carné nous le présentait sous les traits d’un formidable Jean-Louis Barrault sauvant la mise à une gouailleuse Garance jouée par l’inoubliable Arletty.

Encore quelques minutes de  bonheur ! Et quelle leçon !

Merci Pierrot !

Auguste Bouquet - J.-G. Deburau - 1830 en Pierrot Gourmand

Auguste Bouquet – J.-G. Deburau – 1830 en Pierrot Gourmand


Larmes de pluie, pluie de larmes : Perles…

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 « Il pleut doucement sur la ville »
(Arthur Rimbaud)

Il pleure dans mon cœur
Comme il pleut sur la ville,
Quelle est cette langueur
Qui pénètre mon cœur ?

Ô bruit doux de la pluie
Par terre et sur les toits !
Pour un cœur qui s’ennuie,
Ô le chant de la pluie !

Il pleure sans raison
Dans ce cœur qui s’écœure.
Quoi ! nulle trahison ?
Ce deuil est sans raison.

C’est bien la pire peine
De ne savoir pourquoi,
Sans amour et sans haine,
Mon cœur a tant de peine !

Paul Verlaine (Ariettes oubliées)

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HD disponible : roue dentelée en bas à droite de l’image

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Mais d’où viennent ces larmes, ces gouttes, ces perles qui piquent, staccato ininterrompu, les touches du piano ?

Sento in seno ch’in pioggia di lagrime
si dilegua l’amante mio cor.
Ma mio core tralascia di piangere,
ch’il tuo pianto non scema il dolor.

Ainsi crie sa douleur depuis la plage qui le recueille après son naufrage l’empereur byzantin Anastasio : Arianna, sa bienaimée qui a choisi de l’accompagner corps et âme dans son combat contre son ennemi Vitaliano vient d’être capturée par ce dernier. La belle se refusant toujours à trahir Anastasio et céder à Vitaliano qui veut en faire son épouse, est attachée à un rocher, destinée à devenir la proie d’un monstre marin.

Je sens dans mon sein comme une pluie de larmes
où se noie mon cœur aimant.
Mais, mon cœur, abandonne ces larmes,
elles ne sauraient apaiser ta douleur.

C’est le début de l’Acte II de l’opéra de Vivaldi "Il Giustino".

Pour que cet empereur malheureux ne s’affuble point de ce ton hautain des héros qui dominent de leur courage semi-divin leur douleur, pour qu’il se présente sous un jour plus humain, Vivaldi a choisi de faire sonner la pluie de larmes qui inonde son cœur comme la mélodie rythmée des gouttes martelant doucement depuis le ciel l’épave échouée.

Les pizzicati  répétés sans cesse soutenant la plainte mélodieuse d’Anastasio seront autant de larmes prêtes à devenir, transcription effectuée, les légers staccati qui font danser l’ivoire des pianos.

Perles de musique.

HD disponible : roue dentelée en bas à droite de l’image

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Éloge de la paresse

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Greuze - Petit-paresseux

Greuze – Petit-paresseux

Hoy no he hecho nada.
pero muchas cosas se hicieron en mí.
Pájaros que no existen
encontraron su nido.
Sombras que tal vez existan
hallaron sus cuerpos.
Palabras que existen
recobraron su silencio.
No hacer nada
salva a veces el equilibrio del mundo,
al lograr que también algo pese
en el platillo vacio de la balanza.

 ≈

Aujourd’hui je n’ai rien fait.
Mais beaucoup de choses se sont faites en moi.
Des oiseaux qui n’existent pas
ont trouvé leur nid.
Des ombres qui peut-être existent
ont rencontré leurs corps.
Des paroles qui existent

ont recouvré leur silence.
Ne rien faire
sauve parfois l’équilibre du monde,
en obtenant que quelque chose aussi pèse
sur le plateau vide de la balance.

Robert Juarroz                                                                (treizième poésie verticale, édition bilingue, traduction Roger Munier – Ed. José Corti 1993)

 


"Ce léger parfum est mon âme"

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meilland_the-mc-cartney-roseLe bal est fini. Le cœur encore auréolé des volutes de sa dernière valse, une jeune-fille retrouve dans la solitude de sa chambre les émois de son inoubliable soirée. Elle s’endort dans un fauteuil. Le parfum léger de la rose qu’un galant cavalier lui a offerte berce son premier sommeil.

Pendant que doucement se fane la fleur tombée à ses pieds, elle rêve :

" Le spectre de la rose " subrepticement l’a rejointe ; tantôt il s’adresse à elle dans la douce langue du poète portée par la voix la plus belle, tantôt, à son chevet, danse une danse du paradis.

La voix la plus belle pour cette mélodie extraite des "Nuits d’été" de Berlioz, c’est assurément celle de Régine Crespin qui confère à ce cycle une part de merveilleux que peu de cantatrices ont su exprimer avec autant de naturel, de simplicité et de raffinement. Ses paroles, le spectre les puisent dans les vers du poème que Théophile Gautier a écrit pour lui.

Un délice !

Le spectre de la rose

Soulève ta paupière close
Qu’effleure un songe virginal ;
Je suis le spectre d’une rose
Que tu portais hier au bal.
Tu me pris encore emperlée
Des pleurs d’argent de l’arrosoir,
Et parmi la fête étoilée
Tu me promenas tout le soir.

Ô toi qui de ma mort fus cause,
Sans que tu puisses le chasser
Toute la nuit mon spectre rose
A ton chevet viendra danser.
Mais ne crains rien, je ne réclame
Ni messe, ni De Profundis ;
Ce léger parfum est mon âme
Et j’arrive du paradis.

Mon destin fut digne d’envie :
Et pour avoir un sort si beau,
Plus d’un aurait donné sa vie,
Car j’ai ta gorge pour tombeau,
Et sur l’albâtre où je repose
Un poète avec un baiser
Écrivit : "Ci-gît une rose
Que tous les rois vont jalouser".

Théophile Gautier (in "Comédie de la mort")

&

Quand il choisit de danser au chevet de la belle endormie, "Le spectre de la rose" se pare des pétales de la fleur moribonde. Dès que s’enflamment les premiers accords de "L"invitation à la danse" –  rondo pour piano de Carl Maria von Weber qu’Hector Berlioz orchestra en 1841 sous le nom de "L’invitation à la valse" – ,  le spectre tournoie et bondit autour de la rêveuse, tout attendri par sa beauté, lui fait faire quelques tours de valse entre ses bras, puis disparaît dans un saut stupéfiant…  Jamais public, depuis le premier saut final du mythique Nijinski en 1911, n’a vu le spectre redescendre…

Au réveil, la jeune fille comprend, en voyant la rose sur le sol, que son doux rêve est terminé.

Un splendide pas de deux qui est "essentiellement un solo pour l’homme", comme aimait à le préciser le critique anglais Richard Buckle.

La puissance et la grâce !

Dans l’impossibilité de faire un choix entre deux belles versions de ce ballet, le plus simple était de les proposer toutes les deux. Dans la même chorégraphie, celle de Mikhail Fokine, créée originellement pour la première représentation le 19 avril 1911 à l’Opéra de Monte-Carlo, par Tamara Karsavina et Vaslaw Nijinski. Et à partir du même livret de Jean-Louis Vaudoyer d’après le poème de Théophile Gautier.

Vladimir Malakhov – Nadja Saidakova

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Igor Kolb – Zhanna Ayupova

Affiche ballet russe Monte Carlo 1911


" Les lointains attirants "

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Stejpan Hauser (violioncelle) – "Prayer" (Prière)

Extrait de "Jewish life" (Une vie juive) de Ernst Bloch

Prière à l’inconnu

Voilà que je me surprends à t’adresser la parole,
Mon Dieu, moi qui ne sais encore si tu existes
Et ne comprends pas la langue de tes églises chuchotantes.
Je regarde les autels, la voûte de ta maison,
Comme qui dit simplement : voilà du bois, de la pierre,
Voilà des colonnes romanes.
Il manque le nez à ce saint.
Et au-dedans comme au-dehors, il y a la détresse humaine.
Je baisse les yeux sans pouvoir m’agenouiller pendant la messe,
Comme si je laissais passer l’orage au-dessus de ma tête.
Et je ne puis m’empêcher de penser à autre chose.
Hélas ! j’aurai passé ma vie à penser à autre chose.
Cette autre chose, c’est encore moi.
C’est peut-être mon vrai moi-même.
C’est là que je me réfugie.
C’est peut-être là que tu es.
Je n’aurai jamais vécu que dans ces lointains attirants.
Le moment présent est un cadeau dont je n’ai pas su profiter.
Je n’en connais pas bien l’usage.
Je le tourne dans tous les sens,
Sans savoir faire marcher sa mécanique difficile.


Mon Dieu, je ne crois pas en toi, je voudrais te parler tout de même.
J’ai bien parlé aux étoiles, bien que je les sache sans vie,
Aux plus humbles des animaux, quand je les savais sans réponse,
Aux arbres qui, sans le vent, seraient muets comme la tombe.
Je me suis parlé à moi-même, quand je ne sais pas bien si j’existe.
Je ne sais si tu entends nos prières, à nous les hommes,
Je ne sais si tu as envie de les écouter.
Si tu as, comme nous, un cœur qui est toujours sur le qui-vive
Et des oreilles ouvertes aux nouvelles les plus différentes
Je ne sais pas si tu aimes à regarder par ici.
Pourtant je voudrais te remettre en mémoire la planète terre
Avec ses fleurs, ses cailloux, ses jardins et ses maisons
Avec tous les autres et nous qui savons bien que nous souffrons.
Je veux t’adresser sans tarder ces humbles paroles humaines
Parce qu’il faut que chacun tente à présent tout l’impossible.
Même si tu n’es qu’un souffle d’il y a des milliers d’années
Une grande vitesse acquise
Une durable mélancolie
Qui ferait tourner encore les sphères dans leur mélodie
Je voudrais, mon Dieu sans visage et peut-être sans espérance
Attirer ton attention parmi tant de ciels vagabonde
Sur les hommes qui n’ont pas de repos sur la planète.


Écoute-moi ! Cela presse. Ils vont tous se décourager
Et l’on ne va plus reconnaître les jeunes parmi les âgés
Chaque matin, ils se demandent si la tuerie va commencer.
De tous côtés, l’on prépare de bizarres distributeurs de sang de plaintes et de larmes
L’on se demande si les blés ne cachent pas déjà des fusils.
Le temps serait-il passé où tu t’occupais des hommes ?
T’appelle-t-on dans d’autres mondes, médecin en consultation,
Ne sachant où donner de la tête
Laissant mourir sa clientèle ?
Écoute-moi ! Je ne suis qu’un homme parmi tant d’autres.
L’âme se plait dans notre corps,
Ne demande pas à s’enfuir dans un éclatement de bombe.
Elle est pour nous une caresse, une secrète flatterie.
Laisse-nous respirer encore sans songer aux nouveaux poisons
Laisse-nous regarder nos enfants sans penser tout le temps à la mort.
Nous n’avons pas du tout le cœur aux batailles, aux généraux.
Laisse-nous notre va-et-vient, comme un troupeau dans ses sonnailles,
Une odeur de lait frais se mêlant à l’odeur de l’herbe grasse.


Ah ! si tu existes, mon Dieu, regarde de notre côté.
Viens te délasser parmi nous.
La terre est belle, avec ses arbres, ses fleuves et ses étangs,
Si belle, que l’on dirait que tu la regrettes un peu
Mon Dieu, ne va pas faire la sourde oreille
Et ne va pas m’en vouloir si nous sommes à tu et à toi
Si je te parle avec tant d’abrupte simplicité.
Je croirais moins qu’en tout autre en un Dieu qui terrorise.
Plus que par la foudre, tu sais t’exprimer par les brins d’herbe
Et par les jeux des enfants et par les yeux des ruisseaux.
Ce qui n’empêche pas les mers et les chaînes de montagnes.
Tu ne peux pas m’en vouloir de dire ce que je pense
De réfléchir comme je peux sur l’homme et sur son existence
Avec la franchise de la terre et des diverses saisons
Et peut-être de toi-même dont j’ignorerais les leçons
Je ne suis pas sans excuses
Veuille accepter mes pauvres ruses
Tant de choses se préparent sournoisement contre nous
Quoi que nous fassions, nous craignons d’être pris au dépourvu
Et d’être comme le taureau
Qui ne comprend pas ce qui se passe
Le mène-t-on à l’abattoir
Il ne sait où il va comme ça
Et juste avant de recevoir le coup de mort sur le front
Il se répète qu’il a faim et brouterait résolument
Mais qu’est-ce qu’ils ont ce matin avec leurs tabliers pleins de sang
A vouloir tous s’occuper de lui ?

Jules Supervielle ("La fable du monde" – 1938)


Brumes et brouillards /1- Inventions d’artistes

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" On ne voit quelque chose que si l’on en voit la beauté. Alors, et alors seulement, elle vient à l’existence. A présent, les gens voient des brouillards, non parce qu’il y en a, mais parce que des poètes et des peintres leur ont enseigné la mystérieuse beauté de ces effets. Des brouillards ont pu exister pendant des siècles à Londres. J’ose même dire qu’il y en eut. Mais personne ne les a vus et, ainsi, nous ne savons rien d’eux.  Ils n’existèrent qu’au jour où l’art les inventa. "

Oscar Wilde « Le déclin du mensonge », Intentions (1928), trad. H. Juin, Éd. UGE

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Accepter cette proposition d’un esprit aussi brillant que subversif pour qui l’art n’est ni une imitation de la réalité comme voulait le considérer Platon, ni une expression de la spiritualité ou de l’intellectualité des hommes selon la vision hégélienne, c’est reconnaître implicitement le pouvoir divin de l’artiste, inventeur de réalités.

Ainsi donc, demi-dieux devenus, peintres, musiciens, poètes, photographes, sculpteurs même, étrangement, ont inventé pour nous le brouillard et les brumes ; ainsi invitent-ils nos sens quémandeurs d’émotions à pénétrer les mondes nouveaux qu’ils dessinent, à partager la mélancolie qu’ils inspirent ou qui les inspirent, à frémir des mystères qu’ils suggèrent.

Nous ne bouderons pas leur invitation, loin s’en faudrait, trop impatients que nous sommes de découvrir, au-delà des considérations météorologiques d’Aristote, comment la vapeur du pinceau voile la toile, comment le mot se drape dans l’étoffe du rêve, comment la lumière se perd et se disperse dans l’opacité du nuage, comment l’objectif fouille la matière floue, comment la larme brouille la note…

Entreprenons ensemble un voyage à travers les brouillards des chemins et les brumes de l’âme, perdons nous sans boussole et sans plan dans ces profonds indéfinis. Et si parfois l’illusion attise nos angoisses rappelons-nous les vers rassurants du poète :

Il n’est pas de brouillards, comme il n’est point d’algèbres,
Qui résistent, au fond des nombres ou des cieux,
À la fixité calme et profonde des yeux ;
Je regardais ce mur d’abord confus et vague,
Où la forme semblait flotter comme une vague,
Où tout semblait vapeur, vertige, illusion ;
Et, sous mon œil pensif, l’étrange vision
Devenait moins brumeuse et plus claire, à mesure
Que ma prunelle était moins troublée et plus sûre.

Victor Hugo (La légende des siècles – La vision d’où est sorti ce livre)

A suivre…


Brumes et brouillards / 2 – Vapeurs d’ivoire

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Brouillards, montez ! versez vos cendres monotones
Avec de longs haillons de brume dans les cieux
Que noiera le marais livide des automnes,
Et bâtissez un grand plafond silencieux !

Extrait de "L’Azur", de Stéphane Mallarmé

º

Un pas, puis un autre. Doucement, prudemment, nous pénétrons le brouillard qui ne nous laisse apercevoir que les premières feuilles rousses qui jonchent le chemin.

Où conduit-il ce mince bout de ruban disparu aussitôt vu ? Quand tourne-t-il ? Et quelle est cette ombre inquiétante qui flotte dans la pâleur humide ?

Ne demandons plus rien à nos yeux impuissants et leurrés ! Laissons nos oreilles devenir nos guides. Suivons à son rythme balancé l’andante "debussyesque" de cette première des quatre pièces de la composition pour piano de Janacek, et laissons-nous léviter " Dans les brumes ".  La jeune pianiste Sarah Lavaud connaît parfaitement les détours du chemin que traça, un jour de 1912, un grand compositeur tchèque.

HD disponible (Roue dentelée en bas à droite de l’écran après lancement de la vidéo)

º º º

Lorsque nous atteindrons le banc de bois luisant qui se repose en nous attendant sous le grand tilleul argenté que rien n’annonce encore, et pourtant si proche, nous ferons une halte.  Là, nous entendrons couler délicatement d’entre les feuilles serrées les perles de brume. Marian Mc Partland harmonisera le blues de leur cascade arpégée depuis l’ivoire de son clavier jazzy  :  " In a mist "  (Dans un brouillard).  Claude Debussy la surveillera sûrement du coin de l’oreille…

º º º

Et bien sûr, nous ne terminerons pas cette petite expédition pianistique au milieu des peuplades d’ombres étranges qui hantent les brumes, sans rendre visite au Maître de l’impression, de la couleur et du timbre. Pourrions-nous ne pas rendre hommage à celui qui guida nos guides ? Nous nous glisserons donc voluptueusement dans les fluidités déformantes des mouvements ambigus de sa musique.

Cœurs émus, nous traverserons avec Maurizio Pollini les arcanes sonores des " Brouillards "  de Claude Debussy.

º º º



Brumes et brouillards /3 – Jadis, l’automne…

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Le brouillard

Le brouillard a tout mis
Dans son sac de coton;
Le brouillard a tout pris
Autour de ma maison.

Plus de fleurs au jardin,
Plus d’arbres dans l’allée;
La serre du voisin
Semble s’être envolée.

Et je ne sais vraiment
Où peut s’être posé
Le moineau que j’entends
Si tristement crier.

Maurice Carême

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Brouillard d’automne

Le voici devenu fantôme.
Le voici s’approchant du seuil
Où il jouait seul, autrefois,
Enfant triste au milieu des feuilles
Que semait le brouillard d’automne.

Le voici brouillard à son tour
Et se penchant avec amour.

Le voici prenant dans ses bras
L’enfant seul qui joue sans l’entendre,
Et comprenant soudain pourquoi,
Dans les automnes d’autrefois,
Le brouillard lui semblait si tendre.

Maurice Carême


Brumes et brouillards /4 – A foggy day

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Depuis ce jour de 1937 où Ira et George Gershwin ont composé cette superbe mélodie nostalgique, " A foggy day ",  les interprètes les plus prestigieux, les arrangeurs les plus doués, n’ont pas cessé d’en donner des versions toutes aussi séduisantes les unes que les autres. Tous ces musiciens, à leur manière, ont fait scintiller le soleil au milieu du brouillard londonien.

Comment, si l’on a déjà pris quelque distance avec ses vingt ans, ne pas entendre Fred Astaire, Frank Sinatra ou Doris Day fredonner cet air là dans les brumes de ses souvenirs ? Quel amateur de jazz aurait oublié la trompette magique de Winton Marsalis improviser sur cet éternel standard ;  lequel d’entre eux, fût-il devenu sourd et amnésique, n’entendrait-il pas encore, gravé dans les sillons de sa mémoire, l’incontournable duo d’anthologie Louis Armstrong – Ella Fitzgérald déchirer le brouillard londonien ? Et je gage qu’en fouillant les playlists cachées dans les Ipods des plus jeunes, on trouverait "A foggy day"  interprété par Michael Bublé ou David Bowie.

Sans doute y-a-t il autant de belles versions de cette mélodie que de jours de brouillard à Londres en une année. Il en est cependant une dont la simplicité intimiste me touche particulièrement. La beauté et la douceur de l’interprète ne sont certainement pas sans influence sur mon choix, et chaque fois que je regarde la vidéo qui suit, je ne peux m’empêcher de rêver au bonheur qui aurait été le mien si, le temps d’une chanson, j’avais pu occuper la place ô combien enviable du grand acteur anglais Terry Thomas ce jour-là.  Encore eût-il fallu que je naquisse un peu plus tôt et que…

Je crains que, ce billet publié, il me faille aussi désormais partager mon rêve…

I was a stranger in the city
Out of town were the people I knew
I had that feeling of self-pity
What to do? What to do? What to do?
The outlook was decidedly blue
But as I walked through the foggy streets alone
It turned out to be the luckiest day I’ve known.

A foggy day in London Town
Had me low and had me down
I viewed the morning with alarm
The British Museum had lost its charm
How long, I wondered, could this thing last?
But the age of miracles hadn’t passed,
For, suddenly, I saw you there
And through foggy London Town
The sun was shining everywhere.

J’étais une étrangère dans la ville
Et loin d’elle étaient les gens que je connaissais.
J’avais ce sentiment de m’apitoyer sur moi-même.
Que faire ? Que faire ? Que faire ?
Les perspectives étaient définitivement déprimantes.
Mais alors que je marchais seule dans les rues brumeuses
Ce jour est devenu le plus chanceux de ma vie.

Un jour de brouillard à Londres
M’a connue triste et atterrée
J’ai vu désemparée le matin arriver,
Le British Museum avait perdu son charme.
Combien de temps, me suis-je demandé, cela va-t il durer?
Mais le temps des miracles n’est pas révolu
Car, soudain, je t’ai vu là
Et à travers Londres noyée sous la brume
Le soleil partout brillait.


Brumes et brouillards /5 – Cloche d’automne

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Ernst Ferdinand Oehme - Procession dans le brouillard 1828 - Galerie Neue Mester Dresde

Ernst Ferdinand Oehme – Procession dans le brouillard 1828 – Galerie Neue Mester Dresde

Ω

La cloche dans la brume

Écoutez, écoutez, ô ma pauvre âme ! Il pleure
Tout au loin dans la brume ! Une cloche ! Des sons
Gémissent sous le noir des nocturnes frissons,
Pendant qu’une tristesse immense nous effleure.

À quoi songiez-vous donc ? à quoi pensiez-vous tant ?…
Vous qui ne priez plus, ah ! serait-ce, pauvresse,
Que vous compariez soudain votre détresse
À la cloche qui rêve aux angélus d’antan ?…

Comme elle vous geignez, funèbre et monotone,
Comme elle vous tintez dans les brouillards d’automne,
Plainte de quelque église exilée en la nuit,

Et qui regrette avec de sonores souffrances
Les fidèles quittant son enceinte qui luit,
Comme vous regrettez l’exil des Espérances

Émile Nelligan

Ω


Brumes et brouillards /6 –" Sur l’eau "

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Claude Monet - Brumes sur la Seine 1897 (Mead Art Museum - Massachusets)

Claude Monet – Bras de la Seine à Giverny dans le brouillard – 1897 – (Mead Art Museum – Massachusets)

Cependant, la rivière s’était peu à peu couverte d’un brouillard blanc très épais qui rampait sur l’eau fort bas, de sorte que, en me dressant debout, je ne voyais plus le fleuve, ni mes pieds, ni mon bateau, mais j’apercevais seulement les pointes des roseaux, puis, plus loin, la plaine toute pâle de la lumière de la lune, avec de grandes taches noires qui montaient dans le ciel, formées par des groupes de peupliers d’Italie. J’étais comme enseveli jusqu’à la ceinture dans une nappe de coton d’une blancheur singulière, et il me venait des imaginations fantastiques. Je me figurais qu’on essayait de monter dans ma barque que je ne pouvais plus distinguer, et que la rivière, cachée par ce brouillard opaque, devait être pleine d’être étranges qui nageaient autour de moi. J’éprouvais un malaise horrible, j’avais les tempes serrées, mon cœur battait à m’étouffer ; et, perdant la tête, je pensai à me sauver à la nage ; puis aussitôt cette idée me fit frissonner d’épouvante. Je me vis, perdu, allant à l’aventure dans cette brume épaisse, me débattant au milieu des herbes et des roseaux que je ne pourrais éviter, râlant de peur, ne voyant pas la berge, ne retrouvant plus mon bateau, et il me semblait que je me sentirais tiré par les pieds tout au fond de cette eau noire.
En effet, comme il m’eût fallu remonter le courant au moins pendant cinq cents mètres avant de trouver un point libre d’herbes et de joncs où je pusse prendre pied, il y avait pour moi neuf chances sur dix de ne pouvoir me diriger dans ce brouillard et de me noyer, quelque bon nageur que je fusse.

Extrait de la nouvelle " Sur l’eau " de Guy de Maupassant


Un café ? Une cantate ? Pourquoi pas les deux !

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Balthasar Denner (1685-1749) - Jeune fille offrant le café

Balthasar Denner (1685-1749) – Jeune fille offrant le café

Alors vous aussi ! Ah la publicité, décidément ! Allez, ne niez pas, j’ai déchiffré votre sourire, vos lèvres ont murmuré la désormais célèbre et inévitable question. Votre anglais, j’en suis sûr, n’aura jamais été aussi bon : " Nespresso, what else ? "

Sauf que cette charmante jeune fille, Mademoiselle Denner, fille du peintre, à en croire les historiens de l’art, ne posait pas ici pour la publicité d’une marque de café. Certes, l’Allemagne de ce milieu du XVIIIème siècle est particulièrement friande de cette nouvelle boisson qui déjà, partout en Europe, créé des addictions. Mais, à l’époque où les pinceaux de l’artiste étaient encore humides – et sur ces points les historiens sont formels et unanimes – on n’avait pas encore inventé la cafetière électrique à capsules et la télévision – chacun l’aurait deviné – n’avait pas encore fait de George Clooney, trop jeune, le séducteur que l’on connaît.

Mais nous ne nous interdirons pas le plaisir d’un petit scénario publicitaire anachroniquement fou. Imaginons que nous venons de perdre 279 ans, pas moins !

Zimmermannsches CaffeehausAutomne 1735 – Liepzig – Rue Sainte Catherine – Café Zimmermann.

A l’entrée du café où le Maître Jean-Sébastien Bach a coutume de réunir le Collegium Musicum, on aura placé, comme on le ferait d’une affiche aujourd’hui, le tableau attrayant de cette jeune fille offrant une tasse du délicieux breuvage. L’accroche, pour engager les passants à entrer nombreux, consisterait à faire dire à cette demoiselle : " Jean-Sébastien Bach is inside ! " Ou plutôt : " Johann-Sebastian Bach ist drinnen ! " –  Cela vous rappelle quelque chose de déjà vu, n’est-ce pas ?

Et la salle de se remplir, d’autant plus volontiers que – une fois n’est pas coutume – le Maître joue aujourd’hui une cantate pleine d’humour et de bonhomie, " eine comische cantate " (une cantate comique), selon son sous-titre original. C’est ici que nous quittons la fiction. Pour une fois, il ne rend pas hommage à Dieu, ni même à un prince. Celui qui inspire sa cantate c’est le café, tout simplement. Mais est-ce vraiment une cantate ? Cela ressemble plus sûrement à un petit opéra comique de poche, quelques saynètes qui n’enlèvent évidemment rien à la qualité de l’écriture musicale (on s’en serait douté), ni ne minimisent les rigueurs exigées des chanteurs.

Comme pour montrer le formidable compositeur d’opéra qu’il aurait pu être, Bach, parmi plus de 220 cantates composées, a produit une trentaine de cantates profanes qui ne sont en vérité que des opéras miniatures. La cantate du café (Kaffeekantate – BWV 211) en fait partie.

A l’instar d’une Passion, l’œuvre commence par un récitatif : un ténor demande au public de faire silence, une histoire va leur être racontée : " Schweigt stille, plaudert nicht ! " (Silence, ne parlez plus !) 1. Est-on au théâtre ou à l’office ? Le ton et les mots qui suivent nous répondent : malgré la solennité de la musique, c’est au théâtre qu’on parle de " vieux barbon qui grogne comme un ours ".

Ce vieux barbon à la voix de basse c’est Monsieur Schlendrian 2, le père d’une jolie jeune-fille, Liesgen, qui a tant de goût pour le café qu’elle en boit sans cesse. Désirant vivement l’éloigner de cette boisson du diable, il décide de la lui interdire 3. Liesgen argumente, expliquant dans une superbe aria soutenue par les harmonies d’une flûte enchanteresse que le café est assurément " plus délicieux que mille baisers et plus doux que le vin des meilleurs muscats "  (" Ei ! wie schmeckt der Coffee süße ") 4.

1. Recitativo (Ténor): "Schweigt stille, plaudert nicht" (Silence ! Ne parlez plus !)
2. Aria (Basse): "Hat man nicht mit seinen Kindern" (Avec ses enfants on n’a que des ennuis…) Début à 1’08
3. Recitativo (Soprano, Basse): "Du böses Kind, du löses Mädchen"  (Vilaine fille, fille trop libre…) – Début à 3’46
4. Aria (Soprano): "Ei! Wie schmeckt die Coffee süße" (Le café est plus délicieux que mille baisers) – Début à 4’27

Ce n’est que lorsque Schlendrian menace de ne pas lui permettre de se marier que Liesgen fait mine de se soumettre à la volonté de son père. Mais quand celui-ci s’apprête à lui trouver époux, Liesgen s’empresse de déclarer qu’elle exigera comme clause expresse du contrat de mariage que son époux s’engage à la laisser boire trois tasses de café par jour. Ainsi cette Kaffeekantate se termine-t-elle sur un rythme de menuet par cette fatale évidence chantée par le trio vocal : " Die Katze lässt das Mausen nicht " (Le chat ne peut s’empêcher d’attraper les souris), laissant comprendre par là que l’instinct des jeunes-filles du siècle est d’adorer le café.

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Alors, pour garder le sourire… Un café Cantor, what else !

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Pour aller au bout du plaisir, la version complète de cette cantate dirigée par Nicklaus Harnoncourt avec le Concentus Musicus de Vienne.

Janet Perry, Soprano (Liesgen)
Robert Holl, Basse (Schlendrian)
Peter Schreier, Ténor

&

Et, si l’on ne craint pas de garder les oreilles ouvertes toute la nuit,  dégustons ensemble une dernière tasse de ce café " plus délicieux que mille baisers et plus doux que le vin des meilleurs muscats " . Sumi Jo le prépare assez corsé.


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