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Channel: Perles d'Orphée
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Eurydice : Et si…

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Hadès

Hadès

Irrépressible et trop humaine curiosité de découvrir ce que cache le secret royaume des morts, ou ardente et juvénile impatience de retrouver l’âme sœur qu’il pensait détenue à tout jamais au tréfonds des ténèbres éternelles et du silence, Orphée se retourne vers sa bienaimée à l’instant même où il va réaliser son vœu le plus cher : la ramener à la lumière.

Rompu le pacte avec Hadès. Eurydice disparait définitivement dans les brumes de l’Enfer.

Pierre Lacour père - Orphée perdant Eurydice -1805  (Bordeaux)

Pierre Lacour père – Orphée perdant Eurydice -1805 (Bordeaux)

A moins que, comme veulent nous le faire admettre quelques plumes contemporaines telles que Cocteau – rejoignant ici Offenbach – ou, plus vivement encore, la suédoise Ebba Lindqvist, Eurydice, en femme moderne désireuse de manifester son indépendance, n’ait voulu prendre seule son destin en charge et n’ait délibérément refusé de suivre Orphée, préférant demeurer ombre vouée au silence des abysses plutôt que revenir à la lumière en épouse soumise.

Qui avait dit que je voulais te suivre, Orphée ?
Pourquoi étais-tu si sûr de me chercher ici ?
De me forcer pas à pas en arrière ?

[…] Je choisis de vivre dans l’Hadès.
Ce ne fut pas le serpent qui me choisit. Ce fut moi qui choisis le serpent.
Je le vis dans la prairie entre les fleurs. Je désirai le venin.
D’abord ici, au pays des ténèbres, j’ai la force de vivre.

Ebba Lindqvist (Citations tirées du passionnant article de Julie Dekens : « Rester aux enfers : le bonheur paradoxal d’Eurydice »)

Giovanni Antonio Burrini - Orphée et Eurydice 1697

Giovanni Antonio Burrini – Orphée et Eurydice 1697

En toute hypothèse cependant, que l’on s’en tienne aux interprétations classiques du chant IV des Géorgiques de Virgile et du livre X des Métamorphoses d’Ovide, ou que l’on adopte la vision moderne du mythe recomposé qui accorde une place plus conséquente à une Eurydice devenue, hélas, féministe radicale, notre pauvre Orphée abandonné à son fantasme n’a plus désormais pour compagne et amie que sa lyre.

Avec elle, il chante sa déchirante plainte, « J’ai perdu mon Eurydice », qui, pour aussi belle qu’elle soit, ne changera plus son triste sort de veuf inconsolé. Et c’est en cela sans doute que la mort est belle, qui « seule donne à l’amour son vrai climat », comme le disait Jean Anouilh.

Michael Putz-Richard 19ème

Michael Putz-Richard 19ème

Mais ne pourrait-on pas imaginer, comme on le fit jadis avec le nez de Cléopâtre, le nouveau geste de clémence qu’Hadès eût consenti, ou la métamorphose rétrograde qu’eût subie la moderne Eurydice, si le Dieu ou l’épouse, selon l’hypothèse envisagée, avait entendu la plainte d’Orphée ainsi chantée ?

Eussions-nous dû nous en plaindre ou nous en réjouir, nul ne le sait, mais la splendeur céleste de la voix qui, assurément, aurait attendri Eurydice ou charmé Hadès une seconde fois, aurait indéniablement reformé le couple mythique.

Franco Fagioli eût-il été le Cyrano d’Orphée, la face du monde…

Le contre-ténor Franco Fagioli chante « Che faró senza Euridice » (J’ai perdu mon Eurydice), extrait de l’opéra de Gluck « Orphée et Eurydice ». Voix enregistrée au Château de Versailles le 7 novembre 2013. Il ne semble pas exister actuellement d’enregistrement de cette interprétation dans le commerce, et c’est bien regrettable.



Ophélie /5 – Du fil de l’onde au fil des ondes

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J’ai rêvé la nuit verte aux neiges éblouies,
Baiser montant aux yeux des mers avec lenteurs,
La circulation des sèves inouïes,
Et l’éveil jaune et bleu des phosphores chanteurs !

Rimbaud – Le bateau ivre

Quel voyage !

Depuis que Shakespeare, en 1600, lui fait subir le sort tragique que l’on sait, Ophélie, douce et tendre Ophélie, ne cesse, ainsi qu’un bateau ivre, de descendre les fleuves pas toujours impassibles de l’histoire et d’être transportée par les courants de toutes époques, de la plume du poète au pinceau du peintre, du noir et blanc de la portée aux couleurs de la pellicule.

Et puis au fil des ondes, un jour, s’installe pour un instant dans notre canapé, se glisse par surprise dans la chanson d’un chanteur à la mode et apaise même parfois la fureur électrique de ses guitares.

Ophélie sur écran cathodique, qui l’eût cru ? Dans la fumée blanche d’une cigarette de Gainsbarre… Dans la crinière blonde d’un romantique rockeur nommé Johnny…

Quel chemin parcouru depuis les vieux tréteaux au décor d’un palais d’Elseneur, d’où un jeune prince, perplexe ou fou, interpelait pour toujours l’humanité par sa simple question !

Démarrage de la chanson à 1:00

Tu t’en vas à la dérive
Sur la rivière du souvenir
Et moi, courant sur la rive,
Je te crie de revenir
Mais, lentement, tu t’éloignes
Et dans ma course éperdue,
Peu à peu, je te regagne
Un peu de terrain perdu.

De temps en temps, tu t’enfonces
Dans le liquide mouvant
Ou bien, frôlant quelques ronces,
Tu hésites et tu m’attends
En te cachant la figure
Dans ta robe retroussée,
De peur que ne te défigurent
Et la honte et les regrets.

Tu n’es plus qu’une pauvre épave,
Chienne crevée au fil de l’eau
Mais je reste ton esclave
Et plonge dans le ruisseau
Quand le souvenir s’arrête
Et l’océan de l’oubli,
Brisant nos cœurs et nos têtes,
A jamais, nous réunit.

 ≅

Un saule penché sur le ruisseau
Pleure dans le cristal des eaux
Ses feuilles blanches

Ophélie tressant des guirlandes
Vient présenter comme une offrande
Des fleurs, des branches

Pour caresser ses boutons d’or
Pour respirer son jeune corps
Le saule se penche

Mais sous elle un rameau se brise
Le saule en pleurs la retient prise
De part sa manche

Ophélie lui dit « qu’il est bon »
Quand le ruisseau dans un frisson
Casse la branche

Ophélie file au fil de l’eau
Qui vient gonfler son blanc manteau
Contre ses hanches

Son cri s’éteint comme une joie
La boue immonde où elle se noie
Prend sa revanche

Un saule penché sur le ruisseau
Pleure dans le cristal des eaux
Ses feuilles blanches


Narcisse

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Hélas ! L’image est vaine et les pleurs éternels !

[…]

Voici dans l’eau ma chair de lune et de rosée,
Ô forme obéissante à mes yeux opposée !
Voici mes bras d’argent dont les gestes sont purs !…
Mes lentes mains dans l’or adorable se lassent
D’appeler ce captif que les feuilles enlacent,
Et je crie aux échos les noms des dieux obscurs !…

Paul Valéry (extraits de « Narcisse parle » in « Album de vers anciens »)


Ophélie /6 – Couleur de noyade

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« Toutes les eaux sont couleur de noyade. »   (Cioran – « Syllogismes de l’amertume »)

Aucune âme sensible qui se serait une fois seulement penchée sur le sommeil éternel de la belle Ophélie emportée par les flots, ne saurait réfuter ce constat péremptoire de Cioran ? L’aphorisme lui eût-il été contemporain, le grand Berlioz l’aurait assurément fait sien.

Hector Berlioz (1803-1869)

Hector Berlioz (1803-1869)

Très tôt admirateur du théâtre de Shakespeare, à l’instar de la plupart des artistes de la fin du XIXème siècle – romantisme oblige – Berlioz se passionna pour les héroïnes de théâtre telles que Juliette et Ophélie. L’intérêt tout particulier qu’il accorda à Ophélie ne fut sans doute pas étranger à la passion amoureuse qu’il ressentit pour celle qui l’incarnait alors à la scène, l’actrice anglaise Harriet Smithson, qu’il ne tarda pas à épouser. (Cette passion pour cette jeune actrice inspira au compositeur son inoubliable « Symphonie fantastique » : manière de dire déjà ici ce que la musique doit à Ophélie…).

Pas étonnant dès lors, que notre musicien ait souhaité, à différents moments de sa vie, rendre hommage à l’Hamlet de Shakespeare. Il composa sur ce thème trois pièces pour orchestre et chœurs qui furent regroupées en 1852 en un recueil unique, « Tristia ».

La première des trois compositions, « Méditation religieuse », est une profonde réflexion inspirée par un poème de Thomas Moore, sur « le monde [qui] n’est qu’une ombre fugitive ». La troisième, une « Marche funèbre pour la dernière scène d’Hamlet », est écrite pour un chœur sans paroles et orchestre ; son titre suffit amplement à en exprimer la thématique.

C’est avec la deuxième de ces trois pièces, « La mort d’Ophélie », que Berlioz rend un très bel hommage à la mythique jeune femme. Il met en musique pour l’occasion un poème qu’Ernest Legouvé avait écrit à partir du récit que fait de la mort d’Ophélie la reine Gertrude à l’Acte IV d’Hamlet. Cependant, avant de donner à cette composition sa forme définitive pour chœur et orchestre, Berlioz en avait réalisé une version pour soprano et piano d’une beauté romantique particulièrement émouvante.

Et, à n’en pas douter, l’émotion devait être forte chez Berlioz aussi lors de la composition de cette ballade comme en témoignent certes le ton doucereux et les tendres harmonies ondoyantes de la musique – Andante con moto quasi Allegretto –  mais comme l’affirment également les deux vers d’Ovide qu’il cite en exergue à sa partition :

                               … qui viderit illas
De lacrymis factas sentiet esse meas.
(celui qui les verra / reconnaîtra l’effet de mes larmes)

Tristia

Notre émotion est  à son comble quand Anne-Sofie von Otter chante, avec toute la délicatesse qu’on lui connaît, cette douce mélodie qui ressemble tant à celle qu’aurait pu fredonner la blanche Ophélie livrée par sa chute aux caprices du courant avant sa triste fin au fond des eaux.

Peintres, poètes et musiciens… n’est-ce pas là le moindre des cortèges que nous puissions rejoindre pour accompagner Ophélie…?

La beauté lui va si bien, même quand elle prend la triste couleur des eaux…

HD et sous-titres français disponibles en bas à droite de la vidéo

La mort d’Ophélie

Auprès d’un torrent Ophélie
cueillait, tout en suivant le bord,
dans sa douce et tendre folie,
des pervenches, des boutons d’or,
des iris aux couleurs d’opale,
et de ces fleurs d’un rose pâle
qu’on appelle des doigts de mort.

Puis, élevant sur ses mains blanches
les riants trésors du matin,
elle les suspendait aux branches,
aux branches d’un saule voisin.
Mais trop faible le rameau plie,
se brise, et la pauvre Ophélie
tombe, sa guirlande à la main.

Quelques instants sa robe enflée
la tint encor sur le courant
et, comme une voile gonflée,
elle flottait toujours chantant,
chantant quelque vieille ballade,
chantant ainsi qu’une naïade
née au milieu de ce torrent.

Mais cette étrange mélodie
passa, rapide comme un son.
Par les flots la robe alourdie
bientôt dans l’abîme profond
entraîna la pauvre insensée,
laissant à peine commencée
sa mélodieuse chanson.

Ernest Legouvé


Joyeux Noël 2014

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Noël

Quels meilleurs messagers de paix que Jean-Sébastien Bach et sa musique céleste pour transmettre à tous les vœux de Noël des « Perles d’Orphée » ?

Puisse chacun trouver dans cette aria angélique de cette cantate profane (« La chasse »), composée pour égayer les banquets du soir après la chasse, et fêter les princes qui les organisaient, la joyeuse sérénité qu’elle évoque et qui sied si bien au temps de Noël !

 Joyeux Noël !     Merry Christmas !

Schafe können sicher weiden,
Wo ein guter Hirte wacht.
Wo Regenten wohl regieren,
Kann man Ruh und Friede spüren
Und was Länder glücklich macht.

Les brebis peuvent paître en sécurité
Là où un bon berger veille.
Là où les souverains gouvernent avec sagesse,
On peut goûter le calme et la paix
Et c’est ce qui rend un pays heureux.

&

Les agapes de Noël terminées, les enfants épuisés de bonheur enfin endormis, les convives tous repartis ou couchés, tous repus et comblés, un dernier répit avant le sommeil de la nuit serait bienvenu, n’est-ce pas ?

Alors pourquoi ne pas s’asseoir quelques instants devant son piano et retrouver entre ses doigts la douce mélodie de cette aria, telle que l’a transcrite pour l’instrument, avec un tempo plus recueilli, le pianiste Egon Petri dans les années 50 ?

Et si l’on ne retrouve plus la clef du piano… voici une solution de remplacement. – A utiliser aussi d’ailleurs, même si, couvercle levé, le clavier offre impudiquement ses touches… Ce père Noël là – miraculé de la main droite – fait joliment chanter les cordes.


Longueur d’un jour…

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François-Louis Français - Effet de lumière au crépuscule

François-Louis Français – Effet de lumière au crépuscule

Longueur d’un jour sans vous, sans toi, sans Tu, sans Nous,
Sans que ma main sur tes genoux
Allant, venant, te parle à sa manière,
Sans que l’autre, dans la crinière
Dont j’adore presser la puissance des crins,
Gratte amoureusement la tête que je crains…
Longueur d’un jour sans que nos fronts que tout rapproche
Même l’idée amère et l’ombre du reproche
Sans que nos fronts aient fait échange de leurs yeux,
Les miens buvant les tiens, tes beaux mystérieux,
Et les tiens dans les miens voyant lumière et larmes…
Ô trop long jour… J’ai mal. Mon esprit n’a plus d’armes
Et si tu n’es pas là, tout près de moi, la mort
Me devient familière et sourdement me mord.
Je suis entr’elle et toi ; je le sens à tout heure.
Il dépend de ton cœur que je vive ou je meure
Tu le sais à présent, si tu doutas jamais
Que je puisse mourir par celle que j’aimais,
Car tu fis de mon âme une feuille qui tremble
Comme celle du saule, hélas, qu’hier ensemble
Nous regardions flotter devant nos yeux d’amour,
Dans la tendresse d’or de la chute du jour…

22 mai 1945

Paul Valéry (1871-1945) – Corona et Coronilla

Accompagnement musical : Élégie Opus 3 N°1 – Sergeï Rachmaninov

Et un peu plus sur « Corona et Coronilla » et sur le grand amour de Paul Valéry pour Jeanne Loviton (alias Jean Voilier) : un recueil rare de poésies amoureuses, fraîches et sensuelles à la fois, qui confinent souvent au sublime. Un autre regard, assurément, sur un des plus grands maîtres de notre belle littérature.


En ligne, mon cadeau de Noël…

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Personne désormais ne s’étonne plus que les cadeaux de Noël, la fête à peine terminée, se retrouvent mis en ligne sur internet. Parce qu’ils n’ont pas plu, parce qu’ils ne sont pas à la bonne taille, qu’ils n’ont pas la couleur espérée, parce que… parce que…

Hors de question pour moi d’échapper à cette coutume nouvelle ; on a toujours une bonne raison de mettre en ligne un cadeau. J’ai donc décidé, moi aussi, de mettre en ligne celui que je viens de recevoir enrubanné dans les vœux électroniques d’un de mes amis… Et les raisons ne manquent pas : c’est une vieille vidéo de plus de quarante ans, qui sent fort la naphtaline, et en noir et blanc de surcroît.

Mais qu’on ne s’y méprenne pas, je n’ai pas dit que je souhaitais m’en séparer pour autant, loin s’en faut. Car l’odeur de placard mue bien vite en parfum d’un heureux passé, et derrière le grain de l’écran cathodique une voix aimée depuis son perchoir raconte la poésie du hasard, un soir de Noël, près du pont de l’Alma.

Oui, je mets en ligne ce cadeau… mais juste pour prolonger, en le partageant, le plaisir qu’il m’a procuré.

Il y a des cadeaux de Noël qu’il faut absolument mettre en ligne… pour remercier ceux qui ont eu la bonne idée de nous les offrir.


La « der »… de 2014

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Violetta :

« Tutto è follia, follia nel mondo
« Ciò che non è piacer. »

Ce qui n’est pas plaisir
Est folie dans le monde.

Pour accompagner jusqu’à son heure ultime la dernière nuit de 2014 :

Libiamo ne’ lieti calici !

(Buvons dans ces joyeuses coupes !)

Giuseppe Verdi – « La Traviata » – Rolando Villazon et Anna Netrebko

Alfredo :
Buvons, buvons dans ces joyeuses coupes
Que la beauté fleurit ;
Et que l’heure fugitive
S’enivre de volupté.libiamo
Buvons dans les doux frissons
Que suscite l’amour,
Puisque ces yeux tout-puissants
Percent le cœur.
Buvons ! l’amour, l’amour entre les coupes
Aura des baisers plus ardents.

Le chœur :
Ah ! buvons ; l’amour, l’amour entre les coupes
Aura des baisers plus ardents.

Violetta :
Parmi vous je saurai partager
Mes heures les plus joyeuses ;
Ce qui n’est pas plaisir
Est folie dans le monde.
Amusons-nous, rapide et fugace
Est le plaisir de l’amour.
C’est une fleur qui naît et meurt,
Et l’on ne peut plus en jouir.
Réjouissons-nous !
De fervents et flatteurs accents
Nous y invitent.

Le chœur :
Ah ! Réjouissons-nous !
Les verres, les chansons
Et les rires embellissent la nuit ;
Que dans ce paradis
Nous retrouve le jour nouveau.

Violetta (à Alfredo) :
La vie est allégresse.

Alfredo (à Violetta):
Quand on ne s’aime pas encore…

Violetta :
N’en parlez pas à qui l’ignore.

Alfredo :
C’est là mon destin.

Tous :
Ah ! Réjouissons-nous !
Les verres, les chansons
Et les rires embellissent la nuit ;
Que dans ce paradis
Nous retrouve le jour nouveau !



2015 : des vœux en forme… de perles

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Je souhaite que ces deux premières perles de 2015 servent de modèles à toutes les heures de votre nouvelle année :

Que la première leur inspire, pour rendre plus éclatant chacun de vos instants, la légèreté et la grâce de la souriante Aspicia, « la fille du Pharaon », que Taor, voyageur anglais, assoupi un instant dans la pyramide qui depuis des millénaires abrite la princesse, fait danser au milieu de son rêve extatique.

Et pour que le modèle que chaque heure aura à imiter se tienne au plus près de la perfection, la perle se fait étoile, la reine elle-même prête sa beauté et son talent à la jeune princesse : la Reine du Bolchoï, déesse de la danse, Svetlana Zakharova.

La deuxième perle  - en vérité, la deuxième fée – conférera à vos jours, je le souhaite, le souffle tonique d’un morceau de jazz, la joie enfantine et ludique, mais savante, des doigts qui l ‘interprètent, le plaisir des rencontres heureuses que celui-ci propose autour d’une tasse de thé…

… Et le bonheur simple, tel qu’il se cache derrière les bonnes surprises, comme celle, par exemple, jouissive, de l’alliance inattendue d’une virtuose du piano classique avec la comédie musicale de Broadway :

Excellente Année 2015 !


Un abricot avec Dieu

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Ce jeudi là,  – à cette époque le jeudi était le jour sans école – Maxime avait décidé d’aller à la rencontre de Dieu. Il n’avait pas la moindre idée du chemin qu’il prendrait, ni du temps qu’il lui faudrait pour atteindre son but, mais il pensait fort justement que ce serait grande imprudence de s’engager dans une telle aventure sans prévoir de quoi tenir. A neuf ans, il est vrai, on ne se passe pas facilement de son goûter. Il vida donc son cartable des livres, cahiers et crayons qui en remplissaient copieusement les compartiments et empocha à leur place deux ou trois barres de chocolat, une poignée d’abricots secs, et quelques petites bouteilles de jus de fruit qu’il trouva à leur place habituelle, dans le réfrigérateur.

Dès qu’il reçut de sa maman l’autorisation de quitter la table du déjeuner, Maxime s’empressa d’empoigner son cartable devenu sac à provisions et se mit aussitôt en route. Son intuition lui indiquerait certainement le bon itinéraire.

Il marcha d’un pas décidé pendant une vingtaine de minutes qui lui parurent une éternité, puis s’arrêta près d’un des bancs qui bordent le périmètre du parc à la sortie de la ville.

Toulouse-Lautrec - Vieille dame sur un banc

Toulouse-Lautrec – Vieille dame sur un banc

Une vieille dame menue y était assise ; elle observait les oiseaux rivaliser d’habileté dans leurs figures aériennes et sonores, et flattait d’un sourire discret les impertinences de leurs ébats. Le garçon s’assit près d’elle, silencieusement. Un long moment immobile s’écoula ainsi dans la douceur embaumée du parc avant que Maxime ouvrît son cartable pour prendre un abricot. Par la même occasion il en tendit un à sa voisine, accompagnant son geste d’un gentil regard interrogatif. La dame élargit son sourire en signe de remerciement et prit le fruit sec qu’elle dégusta volontiers. Quelques minutes plus tard, sans qu’aucune parole, jamais, fût échangée, le jeune garçon lui proposa un jus de fruit qu’elle accepta avec un même plaisir et ses lèvres et son regard se firent plus cordiaux encore. Ainsi passèrent-ils tous les deux cette belle après-midi de jeudi à partager dans la paix et le silence, abricots et jus de fruit, chants d’oiseaux et parfums de printemps, jusqu’à ce que le déclin du jour et l’envie de retrouver ses parents suggérassent au jeune enfant l’idée du retour.

Maxime se leva et se mit naturellement en marche vers la maison. Mais après quelques pas, il laissa tomber son cartable vide à ses pieds, se retourna vers la vieille dame et se précipita dans ses bras en courant. Ils s’enlacèrent l’un l’autre tendrement ; Maxime étreignait sa vénérable compagne de l’après-midi de toutes les forces ingénues de son enfance pendant que celle-ci gratifiait le garçon d’un profond sourire de koré, ce « sourire de l’amour » qui illumine les beaux visages de ces statues grecques archaïques que « nous aimons d’une tendresse qui ne peut s’épuiser », comme le dit l’historien de l’art, Élie Faure.

Koré au peplos (visage) - Athènes

Koré au peplos (visage) – Athènes

Quand le garçon arriva à la maison, sa mère qui ne lui avait jamais vu visage aussi lumineux le questionna :

- Qu’as tu donc fait cette après-midi qui te rende aussi joyeux, mon chéri ?

- J’ai pique-niqué avec Dieu, maman. Et dans le même enthousiasme, sans laisser sa mère poser l’inévitable question suivante : - Et elle a le plus beau sourire du monde, tu sais !

La vieille dame, elle aussi, était rentrée chez elle, le visage rayonnant de joie et de paix. Jamais son fils ne lui avait connu pareille expression de sérénité ; la question ne se fit évidemment pas attendre :

- Mère, qu’as tu fait de ton après-midi pour paraître si radieuse ce soir ?

- J’ai mangé des abricots avec Dieu. Et vois-tu, je ne l’aurais jamais imaginé si jeune.

♦♦♦♦♦

Histoire inspirée par un conte lu il y a longtemps dans un livre de sagesses dont j’ai oublié toutes les références.


Escale au paradis

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- Dis papa, c’est encore loin le paradis ?

- Nous y sommes. Regarde, écoute, rêve, aime… et tais-toi !

 ∞

- Et au paradis, ça existe les clones ?

- Bien sûr ! Regarde, écoute, rêve, aime… et tais-toi !

∞ ∞ ∞


JE SUIS CHARLIE

La nuit 23 – Un abri, un guide

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Maximilien Luce - Louvre et pont du Carrousel de nuit

Maximilien Luce – Louvre et pont du Carrousel de nuit – 1890

Attendre que la Nuit…

Attendre que la Nuit, toujours reconnaissable
A sa grande altitude où n’atteint pas le vent,
Mais le malheur des hommes,
Vienne allumer ses feux intimes et tremblants
Et dépose sans bruit ses barques de pêcheurs,
Ses lanternes de bord que le ciel a bercées,
Ses filets étoilés dans notre âme élargie,
Attendre qu’elle trouve en nous sa confidente
Grâce à mille reflets et secrets mouvements
Et qu’elle nous attire à ses mains de fourrure,
Nous les enfants perdus, maltraités par le jour
Et la grande lumière,
Ramassés par la Nuit poreuse et pénétrante,
Plus sûre qu’un lit sûr sous un toit familier,
C’est l’abri murmurant qui nous tient compagnie,
C’est la couche où poser la tête qui déjà
Commence à graviter,
A s’étoiler en nous, à trouver son chemin.

Jules Supervielle, tiré de Amis inconnus (1934)


Liberté, liberté chérie…

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Amour sacré de la Patrie,
Conduis, soutiens nos bras vengeurs
Liberté, Liberté chérie,
Combats avec tes défenseurs !
Sous nos drapeaux que la victoire
Accoure à tes mâles accents,
Que tes ennemis expirants
Voient ton triomphe et notre gloire !

La Marseillaise – 6ème couplet

En remplaçant « Hitler » par « Djihad » on pourrait dire que ce poème a été composé un certain dimanche de janvier 2015.

Ce cœur qui haïssait la guerre
voilà qu’il bat pour le combat et la bataille !
Ce cœur qui ne battait qu’au rythme des marées, à celui des saisons,
à celui des heures du jour et de la nuit,
Voilà qu’il se gonfle et qu’il envoie dans les veines
un sang brûlant de salpêtre et de haine.
Et qu’il mène un tel bruit dans la cervelle que les oreilles en sifflent
Et qu’il n’est pas possible que ce bruit ne se répande pas dans la ville et la campagne
Comme le son d’une cloche appelant à l’émeute et au combat.
Écoutez, je l’entends qui me revient renvoyé par les échos.

Mais non, c’est le bruit d’autres cœurs, de millions d’autres cœurs
battant comme le mien à travers la France.
Ils battent au même rythme pour la même besogne tous ces cœurs,
Leur bruit est celui de la mer à l’assaut des falaises
Et tout ce sang porte dans des millions de cervelles un même mot d’ordre :
Révolte contre Hitler et mort à ses partisans !
Pourtant ce cœur haïssait la guerre et battait au rythme des saisons,
Mais un seul mot : Liberté a suffi à réveiller les vieilles colères
Et des millions de Français se préparent dans l’ombre
à la besogne que l’aube proche leur imposera.
Car ces cœurs qui haïssaient la guerre battaient pour la liberté
au rythme même des saisons et des marées,
du jour et de la nuit.

Robert Desnos né en 1900. Après avoir rejoint la résistance en 1942, il meurt en juin 1945 au camp de Thereseinstadt.


Le collier de perles… d’eau

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Il n’y a semble-t-il qu’un moyen de se sortir de l’impossible, l’impossible lui-même. Ce conte venu d’un vieux temps et d’un pays lointain en est une bien amusante illustration.

Shah Ismail I - fondateur de la dynastie des Safavides

Shah Ismail I – fondateur de la dynastie des Safavides

Dans la Perse safavide du XVIème siècle vivait, dans un somptueux palais près de Tabriz, un richissime émir puissant de toute la confiance que son seigneur le Shah plaçait en lui. Il s’appelait Mehran.

« Mehran, le père extasié ». Son entourage l’avait surnommé ainsi tant il nourrissait pour sa fille Hengameh (merveille en langue persane) un amour paternel sans borne et sans égal. Hengameh était née, treize ans avant les faits de ce récit, de Feyrouzah (précieuse), qui ne survécut pas aux douleurs de l’accouchement. Ce décès attrista si profondément Mehran que toute sa passion se reporta sur cette enfant, fruit de leur union ; et très vite Hengameh occupa toute la place que le cœur déchiré de Mehran pouvait consacrer à l’amour. Il faut dire que depuis que Feyrouzah était devenue sa favorite, et aussi longtemps qu’elle demeura près de lui, Mehran, jamais, n’accorda ses faveurs à aucune de ses autres épouses. Toutes les femmes de la terre se confondaient en elle seule.

Évidemment rien n’était trop beau, trop grand ou trop cher pour la fille que lui avait laissée son aimée. Non seulement il comblait Hengameh des présents les plus nobles, mais il lui était impossible de résister à ses caprices, fussent-ils les plus fous ; il savait que très vite désormais arriverait le moment de la séparation, celui, inéluctable, où il devra la laisser rejoindre un époux qui la fera mère à son tour. Aussi avait-il décidé que chaque instant passé avec sa douce fille serait pour lui une occasion supplémentaire de donner vie aux désirs, quels qu’ils fussent, de son enfant adorée.

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Un jour, alors que la jeune Hengameh venait de passer une bonne partie de son après-midi à regarder, fascinée, se former des perles d’eau à la retombée des gerbes légères que le jet d’eau, depuis le centre du bassin, envoyait vers le ciel, elle eut une idée, un caprice, aussi naïf que nouveau, qu’elle comptait bien que son père, une fois encore, exaucerait.

- Père, lui dit-elle, Père, je voudrais tellement avoir un collier en perles d’eau, ces perles joyeuses qui se bousculent au pied du jet d’eau dans le grand bassin.

- Ma douce, ma tendre Hengameh, comment pourrais-je te le refuser ? Tu l’auras ton collier. Je m’en occupe immédiatement. Et Mehran de faire aussitôt signe au factotum qui habitait son ombre : - Je veux que demain à 10 heures tous les joailliers et orfèvres qui fournissent le palais soient rassemblés dans le jardin autour du grand bassin. Va !

Le lendemain matin, à 11 heures, après avoir volontairement laisser s’impatienter les artisans alléchés par les commandes qu’ils escomptaient se voir confier, l’émir Mehran, resplendissant dans sa tenue de soie lamée aux reflets d’émeraude, la tête surmontée d’un somptueux turban blanc pailleté d’or, se montra en haut des marches. D’un seul mouvement la quinzaine de bijoutiers présents s’inclina docilement dans un murmure désordonné de saluts respectueux, voire obséquieux. D’un geste imperceptible de maître marionnettiste le prince les fit se redresser. Il leur dit :

- Je souhaite offrir à ma fille chérie un éblouissant collier de perles… (Dans tous les regards déjà brillaient les lumières des généreux profits). Mais pas de ces perles que vous avez l’habitude de traiter, que l’on cueille sur les quais de nos ports, fraîchement arrivées d’îles lointaines, non ; celles que vous voyez là, tout près de vous, cristallines, au pied des gerbes de ce jet d’eau.

Stupéfaction générale. Le plus ancien de la corporation qui avait de fort longue date fait la preuve de son sérieux et de son talent auprès de l’émir et de sa cour, leva la main et commença à expliquer avec force précaution au prince, s’évertuant à chasser le mot « bulle » de son vocabulaire, que la chose était impossible, que ce n’était que de l’eau, qu’il ne s’agissait pas ici de vraies perles…etc…etc. Mehran interrompit cette litanie de l’impuissance d’un doigt dressé, péremptoire, qui du même coup missionnait deux gardes en direction de l’insolent, prompts à l’emmener à la prison du palais.

L’assistance s’était pétrifiée. Un autre bijoutier, toutefois, décida de  briser la chape de silence et tenta de dire avec mille circonlocutions qu’il pourrait essayer mais que malgré sa haute compétence en orfèvrerie il doutait vraiment que le résultat… Le doigt du prince se leva à nouveau, impitoyable, et les gardes prirent aussitôt en charge le nouvel incapable.

Mohammad Ghaffâri (Kamâl-ol-Molk) - L’orfèvre de Bagdad et son apprenti, 1902

Mohammad Ghaffâri (Kamâl-ol-Molk) – L’orfèvre de Bagdad et son apprenti, 1902

C’est alors qu’un jeune orfèvre, qui avait compris que bientôt toute la confrérie se trouverait enfermée dans les geôles du palais, s’avança devant le groupe et tint avec bravoure ce langage au prince :

- Seigneur, je ne suis ni le plus ancien, ni le plus expert de tous ces artisans renommés qui sont là aujourd’hui, rassemblés pour te servir, mais j’ai ramené quelques secrets de mes voyages, et je veux bien faire pour ta fille le plus beau collier du monde avec ces perles d’eau. Et gratuitement. En effet, Seigneur, l’honneur de te servir sera ma plus belle récompense ; je souhaite seulement que tu acceptes mes deux conditions.

- Qu’à cela ne tienne, dit avec solennité l’émir, je les accepte d’avance. Quelles sont-elles ?

- La première, Seigneur : que tu libères mes deux honorables confrères que tu viens de jeter en prison… (La phrase n’était pas terminée que déjà Mehran d’un geste avait ostensiblement transmis un ordre en ce sens)

- La seconde, continua le jeune orfèvre, est tout entière tournée vers le plus grand désir que nous avons en commun : le bonheur de ta chère fille. Aussi, pour que chacune des perles qui formera le collier soit à sa totale convenance, afin qu’aucune d’entre elles ne lui soit jamais prétexte à un quelconque regret ou à quelque possible déception, je souhaite qu’elle les choisisse et les recueille elle-même dans ce bassin. Dès qu’elle en aura rassemblé une bonne centaine tu me les feras parvenir par ton plus zélé messager, et dans l’instant, mes ouvriers, mes apprentis et moi-même, mettrons jour et nuit, tout notre cœur et toute notre science au service de l’accomplissement de notre plus pur chef-d’œuvre, pour donner pleine satisfaction à ta Grandeur, O Mon Prince !



« Les Baricades Mistérieuses »

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Comme il est curieux de constater combien une petite pièce pour clavecin composée en 1717, qui ne produit, dans son interprétation la plus longue, pas plus de 3 à 4 minutes de musique au maximum, a pu susciter à la fois tant d’intérêt, tant de fascination et provoquer tant de plaisir. Et depuis 300 ans.

Son titre, puisqu’il était de coutume d’en donner à chaque pièce en ce temps là, est à lui seul une énigme… que les siècles écoulés n’ont d’ailleurs pas vraiment aidé à résoudre, et dont le charme se renouvelle à chaque essai d’explication.

« Les baricades mistérieuses » de François Couperin.

Déjà, je vous entends, vous en fredonnez l’air. Aucun doute, c’est bien cela ! Écoutez la belle version clavecin qu’en donne Bruno Procopio : le tempo choisi et la sonorité acide de l’instrument restituent fort subtilement la fluidité grave et infinie de ce rondeau, et flattent la noblesse de sa délicate expression.

Combien d’artistes ont été inspirés par cette brève et fascinante pièce pour clavecin : des poètes comme Maurice Blanchard, Olivier Larronde ou encore Philippe Jaccottet qui la mentionne par deux fois (« La semaison » 1978 et « Ce peu de bruits » 2008), pour n’évoquer que les francophones ; des romanciers comme Paul Auster (« The music of chance » 1991 -« Moon palace » 1989 – Smoke, scénario du film en 1995), Edmond Jaloux en 1922, le romancier suédois Bengt Söderbergh en 1983 ; des cinéastes comme Sofia Coppola qui fait jouer cette musique par un claveciniste au milieu d’une réception dans son film « Marie Antoinette », ou encore Terrence Malick, en 2011 qui l’utilise pour illustrer des séquences de « The tree of life » ; et enfin, car il faut bien arrêter cette litanie qui ne demande qu’à se prolonger, des peintres comme Magritte ou plus proche de nous, l’artiste suisse Dominique Appia avec quatre tableaux sur ce thème entre 1968 et 1975, et le méditerranéen Vincent Bioulès.

Pour la petite histoire, Marcel Proust, qui, comme chacun sait, était un mélomane accompli et passionné, donnait un dîner suivi d’un concert, le 1er juillet 1907. Il n’aurait laissé le soin à personne d’établir le programme musical de la soirée et se chargea donc lui-même de l’établir minutieusement. Après avoir constaté avec satisfaction qu’il avait bien prévu des œuvres de Fauré, Chopin, Beethoven, Liszt, Schumann et Chabrier, – sérieuse affiche, pour le moins – le grand écrivain trouva opportun d’y ajouter « Les barricades mystérieuses » de François Couperin . (Anecdote rapportée par Jean-Yves Tadié dans sa biographie de Marcel Proust)

Quant aux musiciens, on n’aura aucun mal à les imaginer nombreux, du jazz au rock en passant par la composition contemporaine et les câbles des synthétiseurs, à s’être plongés dans cette troublante pièce. En 1982, Luca Francesconi compose ses « Barricades mystérieuses » pour flûte et orchestre, et en 1994, Thomas Adès écrit un arrangement pour quintette à vent et cordes du célèbre rondeau de François Couperin.

Oui, François Couperin, qu’il ne faudrait pas confondre avec son oncle distingué Louis Couperin, compositeur lui aussi pour l’orgue et le clavecin, mais de la première moitié du XVIIème, et qui aura dû attendre le milieu du XXème et la découverte tardive de certains de ses manuscrits pour obtenir la place de choix qu’il occupe aujourd’hui au panthéon français des maîtres de l’orgue.

François Couperin (1668-1733) - Artiste anonyme - Collection Château Versailles (Crédit Wikipédia)

François Couperin (1668-1733) – Artiste anonyme – Collection Château Versailles (image  Wikipédia)

François Couperin, « Le Grand », comme il a été justement surnommé, membre le plus éminent de la dynastie de musiciens à laquelle il appartient. Ce musicien d’exception en l’honneur duquel Maurice Ravel compose, quelques siècles plus tard, le fameux « Tombeau de Couperin ». Organiste titulaire à 17 ans, en 1685, de l’église Saint Gervais à Paris, tribune prestigieuse s’il en fut, et, quelques années plus tard, organiste, pour le quartier de janvier (le premier trimestre dirait-on de nos jours), à la Chapelle Royale de Louis XIV, après avoir obtenu un privilège pour ses Pièces d’orgue consistantes en deux messes, sur recommandation de Delalande lui-même, qui n’était rien moins, outre l’illustre inspirateur des œuvres chorales de Bach et de Haendel, que le premier organisateur de l’Administration musicale du roi soleil. 

Mais que sont donc ces « Barricades mystérieuses » au milieu de ce trésor baroque des œuvres majeures du Maître, telles que les Leçons des ténèbres, Psaumes, Motets et autres Messes pour orgue ou les quatre livres de Pièces pour clavecin ?

C’est un simple rondeau en Si bémol majeur qui prend place dans le 6ème ordre du Second Livre de Clavecin. – Ordre étant entendu au sens de suite de pièces musicales de même tonalité. Il est écrit en style brisé (ou style luthé), c’est à dire selon une technique propre à la musique française qui consiste à arpéger les accords de manière que soient évitées les attaques directes sur la corde, permettant ainsi de produire depuis le clavier cette fluidité de son que fait entendre le luth, par exemple.

Scott Tenant en offre une bien séduisante démonstration du fond des basses de sa guitare :

 

Au clavier, toute la pièce se joue sur la partie gauche, dans les graves, la main gauche produisant un mouvement indéfiniment répété des basses qui soutiennent la mélodie, un ostinato obsédant créant un effet circulaire hypnotique. Mais on ne saurait pour autant en déduire que la main droite est en charge de la mélodie, comme souvent, car cette mélodie est en réalité confiée aux deux mains entre lesquelles elle se partage en permanence, créant un trompe-l’œil sonore ou une sorte d’effet auditif kaléidoscopique.

C’est sans doute ce qui a fait dire à Thomas Adès que « Les Barricades mystérieuses » constituent la plus formidable leçon de composition qu’un musicien puisse recevoir, tant elles montrent comment faire naître la mélodie de l’harmonie et l’harmonie de la mélodie.

Mais que sont vraiment ces « barricades » ? Et en quoi sont-elles donc si « mystérieuses » ?

Rien, semble-t-il, à l’époque de Couperin déjà, ne permet de trouver une explication précise à ce titre énigmatique, et chaque essai paraît être plutôt une spéculation qu’une réelle définition. Certains ont voulu y voir les entraves à la communication entre les êtres, ou les cloisons qui séparent présent et avenir, vie et mort, mais ces hypothèses semblent conjectures au regard des biographes du compositeur.

D’aucuns ont imaginé poétiquement que ces barricades n’étaient autres que les cils des belles dames qui parpelégeaient en manière de séduction maintenant ainsi le doute de leurs prétendants quant à la grivoiserie de leurs regards ; d’autres, plus coquins, ont cru qu’il pouvait s’agir des sous-vêtements de ces belles… D’autres encore ont interprété le titre comme figurant les masques des bals costumés, et certains, enfin, qui se sont consacrés à l’étude détaillée de la partition, ont considéré que les syncopes constamment répétées figuraient des barres de mesure, des barricades masquées dans l’écriture musicale.

Mais, au fond, comprendre est-il si important quand il s’agit de plaisir ? La musique, quand on l’aime, se suffit à elle-même. Laissons-la donc pénétrer nos cœurs, nos esprits devraient ne s’en porter que mieux.

Les notes de la fin pour le piano de György Cziffra, plus familier, il est vrai, des œuvres de grande virtuosité, mais qui resplendit ici d’équilibre dans ce balancement circulaire infini et hypnotique si caractéristique de ces « Barricades mystérieuses ».

Peut-être nous enseignent-elles l’art subtil d’aimer les prisons secrètes de nos âmes ?

◊◊◊

Ce billet a été inspiré par :

- L’article très documenté de Simon J. Evnine, professeur de Philosophie à l’Université de Miami

- La très intéressante émission de Pierre Charvet (France Musique – 13/10/2013)


Voluptueuse beauté des corps

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« La beauté est un mystère qui danse et chante dans le temps et au-delà du temps. Depuis toujours et à jamais. Elle est incompréhensible. .. Elle est dans l’œil qui regarde, dans l’oreille qui écoute autant que dans l’objet admiré. .. Elle est liée à l’amour. Elle est promesse de bonheur. A la façon de la joie, elle est une nostalgie d’ailleurs. »
Jean d’Ormesson (« Un jour je m’en irai sans avoir tout dit »)

 « Il y a dans la sensualité une sorte d’allégresse cosmique. »
Jean Giono (in « Jean le Bleu »)

 « Qu’est la volupté elle-même, sinon un moment d’attention passionnée au corps ? »
Marguerite Yourcenar

Laura Morera et Eric Underwood dansent un extrait de

« Chroma », ballet de Wayne Mc Gregor

Musique du groupe rock The White Stripes : « The hardest button to button »


Dig Ding Dong !

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Bravo, mademoiselle Mabou ! Quand on chante cette petite chanson avec le talent qui est déjà le tien, il est parfaitement légitime de la revendiquer et de se l’approprier comme tu le fais, avec beaucoup de détermination.

Mais tu sais, avant d’être tienne aujourd’hui, elle a été la nôtre, et celles de beaucoup de nos anciens qui nous l’ont apprise ; comme elle sera, demain, celle de tes enfants à qui tu la chanteras et qui, à leur tour, continueront cette heureuse chaîne musicale sans fin.

Mais sans doute ne sais-tu pas encore que cette petite comptine, « Frère Jacques »en allemand :  Bruder Jakoba inspiré un des plus grands musiciens de la fin du XIXème siècle et du début du XXème, Gustav Mahler.

Gustav Mahler - (1860-1911)

Gustav Mahler – (1860-1911)

Quand le temps sera venu pour toi de prêter ta jolie voix aux merveilleux lieder qu’il a composés, tu sauras l’immense symphoniste qu’il a été et qu’il demeure. Pourtant, dès la première symphonie, « Titan », celle-là même où il reprend, au 3ème mouvement, le thème de « Frère Jacques », le public et les critiques de l’époque lui dénient cette qualification, le maintenant confiné dans son rôle de chef d’orchestre et, partant, l’obligeant à réduire considérablement le temps qu’il aurait préféré consacrer à la composition. Tant de chefs d’œuvre, assurément, dont nous aurons été privés.

Il y aurait tant à dire sur cette première symphonie tellement décriée, maintes fois retravaillée, amputée, redécoupée, par laquelle Mahler devient véritablement adulte. Certes les nombreuses symphonies à venir vont lui conférer à la fois assurance et force tragique, mais jamais autant que dans les passions et les inévitables maladresses de cette partition initiatique Mahler n’apparaîtra tel qu’en lui-même, romantique épris de liberté, ivre de la volonté de briser les carcans du chef d’orchestre pour laisser s’envoler la création de l’artiste.

Ainsi, lorsqu’il compose le très déroutant 3ème mouvement, en Ré mineur, avec l’indication « solennel et mesuré, sans traîner », Mahler reprend en forme de canon, dans la tonalité mineure propre à exprimer le sérieux et le profond, la comptine célèbre. – Cela seul aurait déjà suffi à épouvanter l’auditoire de l’époque.

Au rythme lancinant de marche funèbre soutenu par le timbalier, le thème est exposé par la contrebasse solo avant d’être repris successivement par les autres instruments : tuba, violoncelles, basson etc… Et comme il s’agit d’une marche funèbre grotesque, le compositeur a choisi, pour marquer le trait d’humour grinçant, de faire sonner les instruments aux limites contre-nature de leur tessiture respective, demandant à la flûte par exemple de chanter à la lisière des graves ou au tuba de flirter avec les aigus.

Tout l’orchestre bientôt joue la marche funèbre sur le thème de « Frère Jacques », lorsque surgit un air enjoué de musiciens de village – un mariage juif d’Europe central peut-être – folklore inventé de toutes pièces par le compositeur. Et voilà que la savante musique symphonique, guindée, doit accueillir dans son sanctuaire, ô sacrilège, les accents de la musique populaire. Les fauteuils craquent à qui mieux mieux, la salle trépigne, souffle l’indignation.

Et la marche parodique reprend.

Jacques Callot - Les animaux à l'enterrement du chasseur - gravure

Jacques Callot – Les animaux à l’enterrement du chasseur – gravure

Après quelques mesures grotesques, le sublime, introduit par la harpe, nous enveloppe un instant dans les voiles délicats d’une citation mélodique des « Chants du compagnon errant »  (Lieder eines fahrenden Gesellen), cycle de lieder composé par Mahler sur sa propre poésie vers 1885.

Et la marche reprend, et les musiciens de rue retrouvent leur rengaine avant que le cortège des animaux qui suivent la dépouille du chasseur ne termine sa lente procession devant les portes des ténèbres. Clin d’œil, pendant tout ce mouvement, de Mahler au graveur français du début du XVIIème siècle qu’il admirait, Jacques Callot, et à sa gravure ironique.

Voici, charmante petite Mabou, une belle version de ce 3ème mouvement de la 1ère Symphonie « Titan » de Gustav Mahler, interprétée par le Budapest Festival Orchestra dirigé par Ivàn Fischer. Tu n’auras aucun mal à identifier « Ta » chanson au milieu de tous ces musiciens.


Kaddish

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Le 27 janvier 1945, il y a 70 ans, en Pologne, non loin de Cracovie, les soldats russes ouvraient les portes d’un enfer qui aurait fait frissonner d’horreur Dante lui-même, au sommet de son impressionnante imagination : ils libéraient le camp d’extermination nazi d’Auschwitz – Birkenau, la plus effroyable usine de destruction du genre humain qui fût jamais inventée.

Félix Nussbaum - Le triomphe de la mort - 1944 "Si je meurs, ne laissez pas mes peintures me suivre, mais montrez-les aux hommes"

Félix Nussbaum – Le triomphe de la mort – 1944
« Si je meurs, ne laissez pas mes peintures me suivre, mais montrez-les aux hommes »

En 1914, par « un miracle de sympathie intuitive » avec l’âme juive, selon l’expression de Vladimir Jankélévitch, Maurice Ravel – athée, ou, pour le moins, agnostique – composait deux « mélodies hébraïques », dont l’une est la mise en musique d’une des prières majeures de la liturgie juive, « Kaddish ». Cette glorification du nom de Dieu qui suppose toujours d’être prononcée en groupe (10 personnes au  moins) revêt diverses formes, et l’une d’elles, tout entière elle aussi consacrée à la sanctification de l’Éternel, constitue la prière des endeuillés, bien que jamais la mort n’y soit évoquée.

Dans cet arrangement pour ensemble à cordes de « Kaddish », le violoncelle prend la place du récitant, et rend les paroles bien inutiles. Seule la force magique de la musique laisse chacun libre de se souvenir avec ses propres mots et ses propres images, de se recueillir comme il le conçoit, de méditer avec ou sans Dieu, sans que jamais, pour autant, ne se relâche le lien de communion que noue l’indispensable instant de mémoire.

Le devoir de mémoire devrait consister en cette obligation à laquelle chacun, chaque jour, se soumettrait, et qui consisterait à regarder sa propre image dans le miroir de l’Histoire : rien ne prouve que la peur de s’y voir en victime serait plus forte que l’horreur de s’y rencontrer en uniforme de bourreau.

Quel meilleur moyen de rester vigilant ?


Le bracelet au fond de l’eau

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Comme il est agréable, quand le printemps fait éclater les tendres couleurs de sa jeunesse, d’emprunter, pour rejoindre le village, l’étroit chemin de terre qui suit les bords translucides du lac. Certes le trajet est un peu plus long, car on y rencontre les voisins que les rigueurs de l’hiver ont tenus éloignés.

Ce matin-là, le clocher sonnait déjà le onzième coup de midi et personne encore au sein du petit groupe rassemblé sur la rive ne ne s’était laissé aller aux sempiternelles fadaises sur l’inexorable fuite du temps. Et pour cause… Tous étaient captivés par l’énigme qui les préoccupaient : quelques minutes avant que les premiers eussent commencé à former l’attroupement, Pavel, le jeune apprenti boucher, rentrant de livraison, avait aperçu, là, tout près du rivage, posé sur le fond du lac, à quelques centimètres de profondeur, un bracelet en or qui ne demandait qu’à être ramassé. Un jeu d’enfant. Et comme il n’y avait aucun témoin, une merveilleuse aubaine !

Accroupi sur le sable du rivage, le jeune homme plongea son bras au fond de l’eau, mais le bracelet disparut aussitôt. Il renouvela son geste plusieurs fois, changea de position, modifia l’angle de pénétration de son bras dans l’eau, rien n’y faisait. Tous ses efforts s’avéraient vains, le bijou disparaissait dès que sa main brisait la surface liquide. Les curieux, pendant ce temps, s’étaient multipliés autour de lui.

Lac d'Adršpach - près de Prague

Lac d’Adršpach – près de Prague

Tous voyaient l’objet précieux, immobile, offert sans entrave à la main qui le saisirait, mais aucune ne parvenait à s’en emparer.  Pavel en était à sa vingtième tentative, tout aussi vaine que les précédentes. Chaque fois qu’il croyait avoir atteint son but, ses doigts se refermaient sur quelques bulles d’eau claire et le bracelet s’effaçait pour réapparaître à la même place aussitôt l’onde apaisée. Personne ne comprenait l’étrange phénomène, mais chacun était sûr que la prochaine tentative serait la bonne.

Pourquoi donc, ce bracelet, que tout le monde pouvait parfaitement voir au fond de l’eau, sans nul doute possible, était-il donc inatteignable ? Les esprits s’échauffaient et chacun y allait de son hypothèse : untel disait que le Diable prenait un malin plaisir à les tourner en bourriques, tel-autre prétendait que Dieu, lui-même, voulait les mettre à l’épreuve de leur cupidité, certains, perplexes, demeuraient muets, mais derrière la fixité de leur regard on pouvait imaginer leur crainte d’avoir été victimes d’une quelconque malédiction.

L’énigme avait touché à ce point paroxystique, lorsqu’un membre du groupe pétrifia d’un cri la petite communauté effervescente : il avait aperçu à une centaine de pas environ, près des rochers qui dominent le lac, le vieux Vaclav, un homme d’âge avancé, solitaire, mais toujours affable avec qui venait à sa rencontre, et jamais avare de ses connaissances et de sa sagesse envers qui les sollicitait :

- Hé ! Monsieur Vaclav ! Monsieur Vaclav ! S’il vous plaît, rejoignez-nous, on a besoin de vous. S’il vous plaît !

Vaclav leva légèrement le bâton qui lui servait de canne en guise d’accusé-réception et se mit en marche, de son pas habituel, tranquille, vers le petit groupe impatient.

Mikhaïl Nestérov - L'Ermite (1889) - Galerie Tretiakov de Moscou

Mikhaïl Nestérov – L’Ermite (1889) – Galerie Tretiakov de Moscou

Dès que le vieil homme eut pris sa place au centre de l’assemblée, le jeune livreur commença le récit de son incroyable aventure avec ce maudit bracelet ; chacune de ses phrases était ponctuée par le hochement de tête approbatif d’un témoin ou par un murmure choral de confirmation. Il fallait évidemment que le « Maître » n’ignorât aucun détail si l’on voulait que son avis fût aussi judicieux que possible.

Vaclav s’approcha du bord du lac, regarda l’eau claire qui ne cachait ni les cailloux moussus posés sur le fond, ni le bracelet. Après une poignée de secondes, il affirma :

- Le bracelet n’est pas au fond de l’eau.

Stupéfaction générale. Devinant les interrogations que personne n’osait formuler à haute voix, Vaclav, en forme de réponse, tendit un doigt vers le sommet d’un arbre dont le feuillage en avancée sur la rive surplombait le lac à l’endroit du rassemblement. Accroché à l’une des branches, un bracelet, illuminé par le plein soleil de midi, brillait de tous les éclats de l’or. Il se reflétait dans le miroir des eaux, quelques mètres plus bas. Une pie – voleuse, comme chacun sait – aura probablement dérobé le bijou et l’aura abandonné là, sur cette branche.

Le vieux sage s’apprêtait à reprendre sa route, abandonnant son petit monde à sa surprise et à sa déconvenue. Avant de partir, esquissant un sourire discret et bienveillant, il ajouta :

- Prenez garde aux illusions de la matière ! A ne jamais regarder vers le haut, on ne doit pas s’étonner de ne voir que le reflet de ce qui est au-dessus de soi.


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