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Channel: Perles d'Orphée
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A la pointe… du pinceau, de l’épée et du pied

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De la pointe du pinceau à la pointe du pied, en passant, sulfureux Caravaggio oblige, par la pointe de l’épée.

Le pinceau

En abreuvant Michelangelo Merisi da Caravaggio de prestigieuses commandes, les puissants mécènes fort cultivés du début du XVIIème siècle, ouvraient grand les portes de la postérité à celui qui allait devenir l’incontestable maître du "clair-obscur" et de la représentation des ténèbres pour bien des artistes peintres qui lui succédèrent. Il reste pour nous tous, aujourd’hui, Le Caravage dont les œuvres d’un puissant réalisme font à la fois la fierté de tous les lieux qui peuvent exposer une de ses toiles, et le régal de nos sens quand nos regards la rencontrent.

Est-il plus doux plaisir que de lever sa coupe avec "Bacchus" ?

Caravaggio - Bacchus

Caravaggio – Bacchus – 1594 (Florence – Galerie des Offices)

De veiller, admiratif et recueilli, au repos de l’ "Amour endormi" ?

Caravaggio - Amour endormi

Caravaggio – Amour endormi – 1608 (Florence – Palais Pitti)

De tressaillir d’effroi et de fascination devant David vainqueur surgissant de l’ombre, la lame de l’épée encore chaude dans une main et brandissant de l’autre la tête tranchée de son ennemi Goliath ?

Caravaggio - David avec la tête de Goliath

Caravaggio – David avec la tête de Goliath – 1606 (Rome – Galerie Borghese)

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L’épée

Symbole d’un rang qui ne l’autorisait pas à la porter, si présente dans ses tableaux, et dans sa vie, cette épée, qu’il maniait avec succès et trop souvent, a mis Caravaggio dans de terribles situations tant vis à vis de ses mécènes que de ses juges. L’usage mortel qu’il en fit obligea le bretteur à fuir Rome pour échapper aux lourdes condamnations qui le sanctionnaient, sans qu’il pût jamais y revenir, même armé d’un pinceau. Si celui-ci faisait la lumière de sa gloire, celle-là, étrange symétrie entre l’œuvre et la vie, assombrissait le malheur de sa trop courte existence.

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Le pied

C’est par la pointe de son pied que le danseur conserve avec la terre un infinitésimal contact qui le relie à l’histoire. C’est donc par cette troisième pointe d’un triangle qui fermerait ainsi l’espace scénique d’un étrange théâtre où se jouerait en un souffle de beauté la biographie d’un génie, que le chorégraphe Mauro Bigonzetti fait entrer en scène le Staatsballet Berlin en 2008.

Par la chorégraphie de ce ballet en deux actes, il tient autant à rendre hommage à l’artiste Caravaggio qu’il admire, qu’à présenter le drame humain qui le traverse. Les soli, les pas de deux, de trois, ou les ensembles offrent tous au spectateur, parfois peut-être décontenancé, et la face enjouée du génie et les stigmates du crime.

Dans cet émouvant extrait du DVD de ce ballet, la merveilleuse Polina Semionova et le formidable Vladimir Malakhov dansent sur une musique du compositeur anglais John Taverner, " Prayer of the hearth " (Prière du cœur), interprétée en copte par la chanteuse islandaise Björk.

Fascinant tableau de chair ! Troublante prière à la pointe du cœur !

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Le Caravage - Martyr de St Mathieu

Le Caravage – Martyr de St Matthieu – 1600 (Rome – Église Saint-Louis-des-Français)



Les larmes d’une reine

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Dans la rivalité politique qui oppose, pour la conquête du pouvoir, Cléopâtre à son frère et époux Ptolémée, la reine, dont le nez fit tant gloser sa postérité, va trouver en Jules César, outre la réciprocité d’un réel amour, le soutien qui la portera à son triomphe.

Croyant trouver grâce aux yeux de César, Ptolémée a fait assassiner Pompée qui tenait farouchement tête à l’empereur dans la guerre qu’ils se livraient. Il lui en offre la tête, alors même que les deux rivaux envisageaient de faire la paix. César, prompt à venger la famille de Pompée et séduit par Cléopâtre, devient l’allié inconditionnel de cette habile ambitieuse de 21 ans qu’il placera sur le trône d’Égypte, et à qui il laissera un héritier, leur fils Césarion, conçu, dit-on, lors d’une croisière sur le Nil.

La plus puissante des reines du monde a-t-elle droit, elle aussi, à son instant de désespoir et de larmes ?

Oui ! Sans doute ! Et en guise de preuve, émouvante de beauté, le chant désespéré, qui cependant n’oublie ni la colère, ni le désir de vengeance, que Haendel offre à la voix de Nathalie Dessay, dans cet extrait de son opera seria" Giulio Cesare in Egitto", composé 18 siècles après les faits historiques.

Cléopâtre VII - Turin Musée des Antiquités

Cléopâtre VII – 1er siècle av JC – Turin Musée des Antiquités

Ici, Cléopâtre a été enfermée par Ptolémée, sordide commanditaire du meurtre de Pompée, tout juste décapité. Dans sa prison, elle se lamente sur son triste sort…

Piangerò la sorte mia…


Autour de minuit… Un soir de match

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Mal aux cuisses pour avoir tant de fois, pour rien, jailli hors de son fauteuil, convaincu que ce serait le but.

Cassée la voix, gorge douloureuse. Combien d’exhortations, d’encouragements, de vociférations qui jamais n’ont suffi à pousser le ballon dans les filets adverses ? Combien d’invectives lancées vers ce défenseur aux crampons trop facilement dressés ou vers cet arbitre paresseux du sifflet ? Combien d’appels restés vains vers ce sourd entraîneur qui ferait bien pourtant d’écouter nos conseils d’experts ?

Un peu trop bu, peut-être ! Il est agréable le vin rosé bien frais des soirs d’été ; les amandes et les biscuits salés en redemandent sans cesse.

Et la chaleur de juillet sous la tonnelle, et la passion que l’on partage. Et les amis enthousiastes et bruyants devant l’écran qui nous rassemble. Et puis Léa, le sourire aux couleurs nationales, téton patriotique fièrement pointé sous le maillot de l’équipe, la plus zélée des supporters, et la plus belle aussi…

Enfin mille commentaires de spécialistes, cent explications pertinentes, dix avis péremptoires, et la nuit brésilienne commence à peser sur nos paupières. L’heure est venue où l’on doit recomposer le monde. Seul ou presque ! Blotti, vautré même, dans un confortable fauteuil.

Un trio d’excellents musiciens de jazz a décidé de jouer un air de Antonio Carlos Jobim, Brésil oblige. Qui s’en plaindrait ?

O merveille ! Shirley Horn au piano, Steve Williams à la batterie et Charles Ables à la guitare basse. Le jazz ne peut être mieux servi. Le thème :  "Corcovado".

Vite, fermons les yeux ! Surtout fermer les yeux dès les premiers accords, et lâcher tout, la magie du voyage n’en sera que plus grande…

Il paraît que cette vidéo est l’une des plus jouées au Paradis.

Entre les mailles de mes cils, j’aperçois là-bas, très haut, sur le "Corcovado" dominant la baie de Rio de Janeiro, un immense footballeur debout, les bras largement écartés pour contrôler la Terre dans un formidable amorti de la poitrine, avant de l’envoyer immanquablement, d’un tir puissant, dans la lucarne du but gardé par le Diable, rouge de honte d’avoir manqué l’arrêt, sous les clameurs de la foule déchaînée. Et sans que personne d’ailleurs, parmi ceux qui la composent, ne cherche à savoir ce qu’il adviendra du pauvre ballon…

Sacré joueur ! Faut dire qu’il s’entraîne depuis tellement longtemps, là-haut… sur le mont "bossu".

Corcovado

 


Miroir de la douleur

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ANDRE-KERTESZ

André Kertesz – Distorsion 1933

Le miroir d’un moment

Il dissipe le jour,
Il montre aux hommes les images déliées de l’apparence,
Il enlève aux hommes la possibilité de se distraire.
Il est dur comme la pierre,
La pierre informe,
La pierre du mouvement et de la vue,
Et son éclat est tel que toutes les armures, tous les masques en sont faussés.
Ce que la main a pris dédaigne même de prendre la forme de la main,
Ce qui a été compris n’existe plus,
L’oiseau s’est confondu avec le vent,
Le ciel avec sa vérité,
L’homme avec sa réalité.

Paul Eluard ("Capitale de la douleur"1926)

André Kertész  distorsions4

André Kertesz – Distorsion  1933


Est-elle vraiment ce que l’on pense ?

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Mais qui est-ce ? Dites-moi donc qui est cette femme fatale qui fait tourner les têtes et renverse les cœurs ! On dit d’elle tant de choses. Qui croire ?

Est-elle vraiment ce que l’on pense ?

Erik Satie l’appelle la " Diva de l’Empire ".

Sous le grand chapeau Greenaway
Mettant l’éclat d’un sourire
D’un rire charmant et frais
De baby étonné qui soupire
Little girl aux yeux veloutés
C’est la diva de l’Empire
C’est la reine dont s’éprennent les gentlemen
Et tous les dandys
De Piccadilly

Dans un seul yes, elle met tant de douceur
Que tous les snobs en gilet à cœur
L’accueillant de hourras frénétiques
Sur la scène lancent des gerbes de fleurs
Sans remarquer le rire narquois
De son joli minois

Elle danse presque automatiquement
Et soulève, oh ! Très pudiquement
Ses jolis dessous de fanfreluches
De ses jambes montrant le frétillement
C’est à la fois très, très innocent
Et très, très excitant.

 ≡

Francis Poulenc, entre autres " Banalités " , affirme l’avoir surprise, mélancolique et rêveuse, par la fenêtre de sa chambre d’ " Hôtel "…

Il y a des preuves :

Ma chambre a la forme d’une cage,
Le soleil passe son bras par la fenêtre.
Mais moi qui veux fumer pour faire des mirages
J’allume au feu du jour ma cigarette.
Je ne veux pas travailler – je veux fumer.

Oscar Straus, qui avait délibérément supprimé le "s" final de son nom pour se démarquer de la célèbre famille viennoise, ne put cependant pas échapper pour autant à la tentation de la valse. Il en composa donc trois d’un coup. A l’occasion de son opérette  " Les trois valses ", judicieusement nommée, il confia au séduisant Pierre Fresnay le moyen d’encourager les confidences de notre énigmatique diva.

Peut-être enfin allons-nous tout savoir d’elle… Sauf que le rôle de celle qui nous intrigue est ici interprété par Yvonne Printemps, au sommet de son art de chanteuse et de comédienne. Nous resterons donc circonspects.

Il faut dire que, hors la scène, la dame, – charmante, ô combien! – avait la réputation d’être particulièrement gourmande d’amants qui, dans leur indiscrétion, s’accordaient à reconnaître qu’elle les épuisait. Ce que n’ignorait évidemment pas Sacha Guitry qui fut longtemps son mari. Aussi, un jour qu’elle le sollicitait, le célèbre comédien et homme d’esprit lui envoya-t-il ce trait sarcastique : A votre décès, Ma Chère, on pourra dire : " Enfin froide ! ". Ce qui lui valut cette répartie plutôt théâtrale, en forme de coup-bas : Et à votre mort, " Enfin raide ! ".

Mais alors, est-elle ce que l’on pense ?  Est-elle ce que l’on dit ?

Méfions-nous des apparences !

Je ne suis pas ce que l’on pense
Je ne suis pas ce que l’on dit

Au cinéma, pour qu’on vous lance, être soi-même c’est interdit
Alors pour être dans l’ambiance, à chaque instant je m’étudie
Moi si rieuse, je dois jouer à la poseuse pour me poser
Mais je vous jure que ma nature a du mal à se maîtriser
On dit que j’ai des exigences, on pense que je fais des chichis

Je ne suis pas ce que l’on pense
Je ne suis pas ce que l’on dit

Quand je suis dans l’intimité, je reprends ma simplicité
J’en suis heureuse, je vis pour moi, je m’appartiens
Mais au studio, je redeviens l’enquiquineuse

Je ne suis pas ce que l’on pense
Je ne suis pas ce que l’on dit

Au cinéma quelle existence, être soi-même c’est interdit
Pour se donner de l’importance, il faut bluffer, ça réussit
Sur mon visage, je me compose un maquillage dur et moqueur
Pour que l’on m’aime, je dois de même, maquiller aussi tout mon corps
Ce n’est rien que pour l’apparence, qu’au fond je joue la comédie

Je ne suis pas ce que l’on pense
Je ne suis pas ce que l’on dit

En tout cas, et cette fois très réellement, je serais vraiment heureux d’en apprendre plus sur la charmante Marylin Bennett, héroïne inconnue des deux premières vidéos, que j’ai découverte à l’occasion de ce billet.

Mais qui est-elle donc ? S’il vous plaît, dites le moi !

Elle danse presque automatiquement
Et soulève, oh ! Très pudiquement
Ses jolis dessous de fanfreluches
De ses jambes montrant le frétillement
C’est à la fois très, très innocent
Et très, très excitant – See more at: http://www.erik-satie.com/paroles-de-la-diva-de-lempire/#sthash.Ud5m676C.dpuf
Elle danse presque automatiquement
Et soulève, oh ! Très pudiquement
Ses jolis dessous de fanfreluches
De ses jambes montrant le frétillement
C’est à la fois très, très innocent
Et très, très excitant – See more at: http://www.erik-satie.com/paroles-de-la-diva-de-lempire/#sthash.Ud5m676C.dpuf
Sous le grand chapeau Greenaway
Mettant l’éclat d’un sourire
D’un rire charmant et frais
De baby étonné qui soupire
Little girl aux yeux veloutés
C’est la diva de l’Empire
C’est la reine dont s’éprennent les gentlemen
Et tous les dandys
De Piccadilly

Dans un seul yes, elle met tant de douceur
Que tous les snobs en gilet à cœur
L’accueillant de hourras frénétiques
Sur la scène lancent des gerbes de fleurs
Sans remarquer le rire narquois
De son joli minoisElle danse presque automatiquement
Et soulève, oh ! Très pudiquement
Ses jolis dessous de fanfreluches
De ses jambes montrant le frétillement
C’est à la fois très, très innocent
Et très, très excitant- See more at: http://www.erik-satie.com/paroles-de-la-diva-de-lempire/#sthash.Ud5m676C.dpuf
Paroles : Dominique Bonnaud et Numa Blès

Sous le grand chapeau Greenaway
Mettant l’éclat d’un sourire
D’un rire charmant et frais
De baby étonné qui soupire
Little girl aux yeux veloutés
C’est la diva de l’Empire
C’est la reine dont s’éprennent les gentlemen
Et tous les dandys
De Piccadilly

Dans un seul yes, elle met tant de douceur
Que tous les snobs en gilet à cœur
L’accueillant de hourras frénétiques
Sur la scène lancent des gerbes de fleurs
Sans remarquer le rire narquois
De son joli minoisElle danse presque automatiquement
Et soulève, oh ! Très pudiquement
Ses jolis dessous de fanfreluches
De ses jambes montrant le frétillement
C’est à la fois très, très innocent
Et très, très excitant

- See more at: http://www.erik-satie.com/paroles-de-la-diva-de-lempire/#sthash.Ud5m676C.dpuf


Elle peint… les notes d’une havanaise

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Que faites-vous ce soir ?

Si vous n’avez pas de programme prévu, je vous invite dans un petit bistro catalan à deux pas de Gerone et à quelques lieues de plus au sud de Perpignan.

Bien sûr on y retrouvera des amis. Évidemment nous mangerons la cuisine de Catalogne : peut-être une "Esqueixada", délicieuse salade de morue avec tout ce qu’il faut de soleil, de tomates, d’olives, de poivron, de persil, de vinaigre de Xeres… et d’huile d’olive. Ou bien alors une "Cargolada" d’anthologie (escargots fourrés au lard fondu avec de belles tartines d’aïoli) . Le tout arrosé de vin de la région, cela va sans dire.

Mais la vraie dégustation, je vous la réserve pour le dessert. Oh, gourmands impénitents, vous pensez déjà à la crème brûlée catalane traditionnelle ? Soit, il y en aura, j’en suis presque sûr. Toutefois le superbe dessert que je voudrais vous faire goûter n’est pas à la carte. Il ne vient ni de la terre, ni de la mer, mais des cieux les plus profonds. Il ne se mange pas mais il régale l’âme. C’est un clafoutis de douceur, de charme, d’harmonies et de poésie, nappé du miel de la voix de Sìlvia Pérez Cruz.

Quand, pour ce petit concert intime, accompagnée à la guitare sèche, elle changera son éclatant sourire en un chant de lumières polychromes, au rythme langoureux d’une habanera " Vestida de nit ", nous serons, nous aussi, habillés de nuit pour mieux nous fondre, auditeurs invisibles et charmés, dans les ombres heureuses du rêve.

Elle peint les notes de sa musique…

Viendrez-vous ?


Pinto les notes d’una havanera
blava com l’aigua d’un mar antic.
Blanca d’escuma, dolça com l’aire,
gris de gavines, daurada d’imatges,
vestida de nit.

Miro el paisatge, cerco paraules,
que omplin els versos sense neguit.
Els pins m’abracen, sento com callen,
el vent s’emporta tot l’horitzó.esqueixsada

Tornada
Si pogués fer-me escata
i amagar-me a la platja
per sentir sons i tardes del passat,
d’aquest món d’enyorança,
amor i calma, perfumat de lluna, foc i rom.

Si pogués enfilar-me a l’onada més alta
i guarnir de palmeres el record,
escampant amb canyella totes les cales
i amb petxines fer-los-hi un bressol.

Els vells em parlen plens de tendresa,
d’hores viscudes amb emoció.
Joves encara, forts i valents,
prínceps de xarxa, herois de tempesta,
amics del bon temps.

Els ulls inventen noves històries,
vaixells que tornen d’un lloc de sol.
Porten tonades enamorades.
Dones i Pàtria, veles i flors.

Tornada
Si pogués fer-me escata
i amagar-me a la platja
per sentir sons i tardes del passat,
d’aquest món d’enyorança,
amor i calma, perfumat de lluna, foc i rom.

Si pogués enfilar-me a l’onada més alta
i guarnir de palmeres el record,
escampant amb canyella totes les cales
i amb petxines fer-los-hi un bressol.

 ◊

Je peins les notes d’une habanera
Bleue comme les eaux d’une mer antique,
Blanche d’écume, douce comme l’air,
Grise telle la mouette, incrustée d’images dorées,
Vêtue de nuit.

Je regarde le paysage, je cherche les mots
Pour paisiblement poser mes vers.
Les pins m’embrassent, je suis emplie de silence,
Le vent s’empare de l’horizon.

Si je pouvais gravir la plus haute vague
Et orner de palmes les souvenirs,
Envahir les plages des senteurs de cannelle,
Et y faire un berceau de coquillages.

Un aîné me parle tendrement
Des heures vécues avec émoi.
Jeune encore, fort et courageux,
Prince des courants, héros de tempête,
Ami des temps heureux.

Les yeux inventent de nouvelles histoires,
Vaisseaux revenus d’un lieu unique,
Ils rapportent des chants d’amour.
Femmes et Patrie, cierges et fleurs.

. . .


La prisonnière

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Marcel Proust (1871-1922)

Marcel Proust (1871-1922)

" La prisonnière ", voilà qui pourrait faire un titre de roman extrêmement engageant pour un amoureux de la lecture, n’est-ce pas ? Mais un auteur, me semble-t-il, a déjà eu cette idée. Et quel auteur !

" La prisonnière ", en effet, c’est le cinquième tome de la " Recherche " de Marcel Proust. Dans ce roman qui nous éloigne un moment, comme une pause que nous offre le narrateur, des mondanités qu’il nous a fait partager jusqu’ici, Proust s’accorde le temps d’une introspection. Son amour pour Albertine n’a cessé de croître depuis qu’il nous a fait part de sa rencontre avec elle au tome II, "A l’ombre des jeunes filles en fleurs". Elle a répondu favorablement à sa demande et s’est installée chez lui. Mais cet amour vécu dans la proximité du quotidien le conduit à une jalousie maladive tant il supporte mal l’intérêt qu’Albertine semble accorder aux autres femmes. Il aurait sans doute mieux accepté qu’elle fût attirée par quelques rivaux masculins.

Le séjour d’Albertine le transformera donc en enquêteur prêchant parfois le faux pour savoir le vrai, voire en geôlier surveillant jalousement sa prisonnière. Mais l’auteur finira par admettre qu’il n’est d’autre prisonnier que lui-même. Et, alors qu’il consent enfin à se détacher de cet amour perturbateur, le départ soudain d’Albertine va raviver ses émois…

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Roland Petit (1924-2011)

Roland Petit (1924-2011)

Avec la création par le Ballet de Marseille en 1974 de " Proust ou les intermittences du cœur ", Roland Petit fait vivre sur scène quelques personnages de " La recherche ". 

Fidèle à l’économie de moyens qui caractérise ses chorégraphies, il met en scène par quelques tableaux divers des situations venues en droite ligne de l’œuvre littéraire, en se gardant bien de la prétention d’une quelconque rivalité avec elle. Le corps exprime ici, sur des musiques que Proust lui-même avait entendues, voire appréciées, à son époque, les émois, les caractères et les relations de certains personnages de la "Recherche", parmi les plus connus, tels que Swann, bien sûr, Madame Verdurin, la Duchesse de Guermantes ou Marcel Proust lui-même.

Dans ce pas de deux " La prisonnière ", – sans aucun doute un point culminant de la réalisation chorégraphique -, le jeune Proust, magnifiquement incarné par Hervé Moreau, contemple Albertine dans son sommeil, le regard tout autant chargé de questionnements que d’émerveillements. La belle endormie dont le sommeil présage déjà de sa fugue imminente, est interprétée, avec une grâce inégalée, par la danseuse étoile Isabelle Ciaravola – qui a fait ses adieux à l’Opéra de Paris il y a quelques mois à peine.

L’harmonie des corps, la sobriété des gestes, la finesse de la chorégraphie et la sensibilité des deux superbes interprètes, illustrent avec une juste émotion les confidences que nous avions reçues jadis de l’auteur à travers les pages de ce singulier "journal intime". Les accents de l’adagio de la 3ème symphonie de Saint-Saëns sont le ruban rouge de ce paquet cadeau exceptionnel.

On peut aimer les mots, certes, mais quand les silences des corps sont aussi éloquents…

 


La nuit 21 – Un arpège, une rime, une image

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Sergueï Rachmaninov

Étude tableau op 33 N°8 en Sol mineur (selon la numérotation la plus courante)

[Étant données les modifications et suppressions que Rachmaninov a lui-même effectuées, les "Etudes-Tableaux"  opus 33 permettent trois modes de numérotation, tous admis. Ce qui n'aide pas vraiment à une identification facile des pièces.]

Quel que soit le système adopté, toutes les partitions des deux cahiers – Opus 33 et Opus 39 -  n’en demeurent pas moins autant de merveilles qui se voulaient initialement destinées à la pratique des techniques pianistiques et à l’étude de musicalité. A la différence de Debussy qui avait nommé chacune de ses études ou de Moussorgski dont chaque pièce des "Tableaux d’une exposition"  porte un titre, Rachmaninov a préféré laisser toute sa liberté à l’imagination de l’interprète ou de l’auditeur. Si chaque Étude se veut en effet relater une historiette, un petit conte, ou plus simplement une scène de la vie courante – ce qui justifie son complément Tableau – le compositeur se défend d’influencer les imaginations. Il ne se propose pas de rendre musicalement les impressions reçues par un tableau existant, mais de donner la matière émotionnelle de la composition d’une toile que chacun brossera à sa manière.

En ré-écoutant cette "Étude-Tableau en Sol majeur" sous les doigts de la pianiste Hanna Shybayeva – que je découvrais avec grand plaisir à cette occasion -, me sont apparues, s’élevant d’un étang tranquille que le soir s’apprête à engloutir, les frêles et sensuelles vapeurs de la nuit qui avance. Dans la simplicité du texte porté par une infinie richesse d’harmonies, et au rythme lent d’une ballade mélancolique au bord de l’eau à la fraîcheur apaisante d’une nuit d’été, un poème tentait de prendre forme au milieu des brumes légères. Ma mémoire paresseuse entrevoyait à peine une émotion lointaine qu’elle ne savait nommer.

Une bribe de vers entre deux notes… Une image… Étrangement, le nom d’un personnage de roman… Le nom de l’auteur, enfin… Bien-sûr, Robert de Montesquiou, le très aristocratique baron de Charlus auquel Marcel Proust accorde une place de premier plan dans "Sodome et Gomorrhe".

Retrouvées les rimes enfouies entre les pages d’un rayon de bibliothèque. Alors lire. Lire à voix haute " Hymne à la nuit ". Relire et se souvenir. Écouter. Relire en écoutant… La poésie, la musique… Le rapprochement… L’osmose.

Mon tableau de cette nuit : la fusion d’une image, d’une rime et d’un arpège !

Un instant de bonheur simple !

Hymne à la nuit

Le mystère des nuits exalte les cœurs chastes !
Ils y sentent s’ouvrir comme un embrassement
Qui, dans l’éternité de ses caresses vastes,
Comble tous les désirs, dompte chaque tourment.

Le parfum de la nuit enivre le cœur tendre !
La fleur qu’on ne voit pas a des baumes plus forts…
Tout sens est confondu : l’odorat croit entendre !
Aux inutiles yeux tous les contours sont morts.

L’opacité des nuits attire le cœur morne !
Il y sent l’appeler l’affinité du deuil ;
Et le regard se roule aux épaisseurs sans borne
Des ombres, mieux qu’aux cieux où toujours veille un œil !

Le silence des nuits panse l’âme blessée !
Des philtres sont penchés des calices émus ;
Et vers les abandons de l’amour délaissée
D’invisibles baisers lentement se sont mus.

Pleurez dans ce repli de la nuit invitante,
Vous que la pudeur fière a voués au cil sec,
Vous que nul bras ami ne soutient et ne tente
Pour l’aveu des secrets… – pleurez ! pleurez avec

Avec l’étoile d’or que sa douceur argente,
Mais qui veut bien, là-bas, laisser ce coin obscur,
Afin que l’œil tari d’y sangloter s’enchante
Dans un pan du manteau qui le cache à l’azur !

Robert de Montesquiou  (1855-1921)



A la recherche de Marietta

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Si vous ne connaissez pas Marietta, je gage que vous l’adorerez, aussitôt découverte. Si vous l’avez déjà rencontrée, vous n’aurez évidemment pas pu l’oublier, et vous vous ferez une joie, j’en suis sûr, de la retrouver un instant.

Sa beauté, flattée depuis 1920 par la musique de Korngold, s’est incarnée dans tant de séduisants visages et la sensualité qu’elle dégage s’est exprimée à travers tant de voix aussi enivrantes les unes que les autres, que je ne peux commencer ce billet autrement que par l’aveu d’un réel embarras face au difficile choix de la Marietta, héroïne de l’opéra « Die tote stadt » (La ville morte), que je convierai.

Mais rencontrer Marietta suppose de la connaître. Qui est-elle ? D’où vient-elle ?

Elle apparaît d’abord, héroïne tragique, dans la littérature belge de la fin du XIXème avant de renaître, dans les années qui suivent la fin de la Première Guerre Mondiale sur les scènes des opéras du monde. Commençons donc par la chercher là où son personnage se montre pour la première fois, près des eaux immobiles et noires qui glissent, lugubres, entre les béguinages et les beffrois de « Bruges­­­-la-morte », ainsi qu’avait été nommée la célèbre ville flamande par Georges Rodenbach, maître du Symbolisme  belge, dans son roman éponyme, écrit en 1892, et publié initialement sous forme de feuilleton dans Le Figaro de l’époque.

Georges Rodenbach (1855-1898)

Georges Rodenbach (1855-1898)

Fernand Khnopff  :  À Bruges. Aspect de Bruges, Le Lac d'Amour

Fernand Khnopff : À Bruges. Aspect de Bruges, Le Lac d’Amour

C’est dans cette ville, première héroïne de l’ouvrage, où l’étrange prend immédiatement les couleurs inquiétantes du drame lorsque l’esprit, tel celui de Rodenbach, conçoit un rapport particulier à la mort, que l’auteur installe ses personnages.

Bruges la morteQuel meilleur choix que Bruges où « tous les jours y ont un air de Toussaint », « l’eau sensitive y a un regard ambigu », cité partagée entre Dieu et Diable dans les vapeurs mêlées de l’encens et du soufre, pour accueillir Hugues ? Profondément chrétien, le suicide lui est interdit ; où donc ce mort-vivant romantique pourrait-il mieux se consacrer à la morbide méditation qu’il s’impose pour garder avec sa femme adorée, désormais disparue, un contact de tous les instants ? Tout à Bruges, dans la brumeuse atmosphère des canaux qu’un carillon parfois déchire, porte à la rêverie ; tout dans la chambre de Hugues se conjugue au passé nostalgique, parle d’elle, la morte. On trouve même dans ce sanctuaire, conservée dans un coffret de verre, une tresse de sa chevelure, relique, objet de la profonde vénération du veuf inconsolé.

Un jour, au cours d’une promenade, Hugues rencontre le sosie de son épouse disparue. Et si la vie avait décidé de lui redonner espoir ! Il suit l’inconnue, apprend que c’est une danseuse lilloise, Jane, venue à Bruges avec sa troupe. -(Elle deviendra Marietta dans l’opéra de Korngold, quand Hugues se transformera en Paul).

Il ne tarde pas à devenir son amant et pénètre ainsi dans le rêve fou qui l’encourage à se convaincre du retour de sa bienaimée. Mais la réalité le rattrape, la jeune femme n’est pas celle qu’il imaginait. Elle se révèle vulgaire, volage, perverse, se rit de lui, et les rumeurs de la ville bien-pensante enflent jusqu’à la limite du scandale.

Le jour de la procession du Saint-Sang, Hugues a invité Jane chez lui. Il se rend compte du monde qui sépare son souvenir de son présent, essaie de sortir de son rêve dans lequel le désir et la jalousie le maintiennent. La tragédie se joue enfin ce jour-là, lorsque Jane profane la chevelure de la défunte en l’enroulant, ironie provocante, autour de son cou. Les mains de Hugues s’emparent des deux extrémités de la tresse. Il serre, serre…

Jane meurt étranglée.

Comme la Marietta de Korngold, dans la même ville de Bruges, plus tard, par la furie libératrice de Paul…

Pendant ce temps, à Vienne, un certain Docteur Freud signe l’acte de naissance de la psychanalyse…

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Erich Wolfgang Korngold (1897-1957)

Erich Wolfgang Korngold (1897-1957)

En 1920, Erich Wolfgang Korngold, jeune musicien autrichien, prodige de 23 ans, élève de Zemlinsky, chaleureusement encouragé dans la carrière par Mahler, Puccini et Richard Strauss (on pourrait trouver pires parrains…), s’inspire de la pièce de théâtre " Le Mirage ", que Rodenbach a bâtie à partir de son propre roman, " Bruges-la-morte ", et compose l’opéra " Die tote stadt " ( La ville morte). Fait unique dans l’histoire du genre, l’œuvre est simultanément donnée le même soir à Hambourg sous la baguette du compositeur lui-même et à Cologne, dirigée par Otto Klemperer. Le succès est immédiat, justifié et total. Les scènes du monde entier s’empressent de mettre l’œuvre à leur programme.

Malgré un profond respect pour le texte de Rodenbach, Korngold est contraint de faire quelques aménagements que lui imposent la forme musicale d’une part et l’indispensable variété des jeux scéniques qu’exige un opéra, d’autre part.

Dès l’Acte I, peu de temps après leur rencontre, dans la rapide intimité qui les unit déjà, Paul (Hugues) demande à Marietta (Jane) de lui chanter une chanson. Elle entonne ce lied mélancolique: " Glück, das mir verblieb… " (Bonheur qui me reste…). La douce fluidité de la voix de soprano lyrique y fait entendre également l’ensorcelante poésie du chant wagnérien et l’émouvante profondeur des lieder de Richard Strauss, toutes deux naturellement liées dans la composition cependant très personnelle de Korngold. Une merveille mélodique et vocale qui demeure, et sans doute pour toujours, la signature de cet opéra.

- Te voilà donc enfin, Marietta ! Chante ! Chante ta chanson triste !

Pour visionner dans de meilleures conditions d’image et de son cette vidéo romantique à souhait, superbement interprétée par Carol Neblett et René Kollo, il y a quelques années, cliquer sur le cœur : 

Glück, das mir verblieb,                                          Bonheur qui me reste
rück zu mir, mein treues Lieb.                               Viens avec moi, mon véritable Amour.
Abend sinkt im Hag                                                 Dans le bois le soir descend.
bist mir Licht und Tag.                                            Tu es ma lumière et mon jour.
Bange pochet Herz an Herz                                   Inquiet, un cœur bat contre un autre
Hoffnung schwingt sich himmelwärts.               [Tandis que] l’espoir escalade le ciel.

Wie wahr, ein traurig Lied.                                     Comme c’est vrai, une chanson triste.
Das Lied vom treuen Lieb,                                      Le chant du véritable amour
das sterben muss.                                                      Voué à la mort.

Ich kenne das Lied.                                                    Je connais ce chant,
Ich hört es oft in jungen,                                         Je l’ai souvent entendu,
in schöneren Tagen.                                                  Plus jeune, en des temps meilleurs.
Es hat noch eine Strophe                                         Il a encore d’autres vers,
weiß ich sie noch?                                                       M’en souvient-il encore ?

Naht auch Sorge trüb,                                               Bien que s’assombrisse la tristesse
rück zu mir, mein treues Lieb.                                Viens à moi, mon véritable amour.
Neig dein blaß Gesicht                                              Penche vers moi ton visage blême,
Sterben trennt uns nicht.                                         La mort ne nous séparera pas.
Mußt du einmal von mir gehn,                                Si tu devais un jour m’abandonner
glaub, es gibt ein Auferstehn.                                 Dis-toi qu’une vie existe après la vie.

Comment résister à cette autre Marietta, Anne-Sofie von Otter, venue chanter son lied au Théâtre du Châtelet en 2000, dans la belle version arrangée pour quintette avec piano et voix. Plus pudique, plus sereine, plus profonde, plus grave, mezzo-soprano oblige certes, mais absolu talent, incontestablement, qui sait le chemin du cœur.

" Glück, das mir verblieb… " : un sextuor vocal ?!

Le déjà grand compositeur, après le triomphe de "Die tote stadt", est promis à une brillante carrière qu’interrompra le nazisme. Korngold rejoindra les États-Unis où il deviendra le compositeur de musiques de film que l’on sait. Il persistera après 1946 à écrire des œuvres néo-romantiques qui n’auront plus les faveurs des temps nouveaux. Il n’en demeure pas moins un immense compositeur hélas trop peu souvent inscrit au répertoire.


Le doute

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Sagesse reza

Reza – Sagesse

Le doute

L’impossibilité de vivre
se glisse en nous au début
comme un caillou dans la chaussure :
on le retire et on l’oublie.

Ensuite arrive une pierre plus grande
qui n’est plus déjà dans la chaussure :
le premier ou le dernier malentendu
se mêle à l’amour ou au doute.

Viennent après d’autres échecs :
la perte d’un mot,
la sauvage irruption d’une douleur,
une mort sur le chemin,
la chute d’une feuille sur notre solitude,
la vieillesse qui s’annonce
comme un soir écorché par la pluie.

Nous émergeons de tout
avec un tremblement qui dissout la confiance.
La lune pâlit,
nous commençons à nous méfier du soleil.

Roberto Juarroz

 


Madame, jamais sans votre ombrelle !…

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La passante d’été

Vois-tu venir sur le chemin la lente, l’heureuse,
celle que l’on envie, la promeneuse ?
Au tournant de la route il faudrait qu’elle soit
saluée par de beaux messieurs d’autrefois.

Sous son ombrelle, avec une grâce passive,
elle exploite la tendre alternative :
s’effaçant un instant à la trop brusque lumière,
elle ramène l’ombre dont elle s’éclaire.

Rainer Maria Rilke   (Vergers)

Un clic sur un tableau ouvre la galerie
Albert Edelfelt - Femme et son ombrellel-1886 Alexander Averin (russe né en 1952) Aristide Maillol - Femme à l'ombrelle - 1896 August Macke (1887-1914) The Milliner's Chen Yiming (chinois né en 1951) Claude Monet - La promenade la femme à l’ombrelle Arthur Hopkins (british-1848-1930) – Jeune femme lisant près de la mer-1892 Duffy Sheridan 1947 - American Figurative painter Duffy Sheridan Edward Cucuel (américain 1875-1954) - Ombrelle blanche Edward Cucuel (américain 1875-1954) - - The yellow parasol Edward Cucuel (américain 1875-1954) Emile Vernon - 1872-1919 Ernst-Ludwig Kirchner. - Jeune fille à l'ombrelle japonaise - 1906 Femme ombrelle3 Femme ombrelle4 Femme ombrelle5 Francisco Miralles (1848-1901) - Ombrelle rouge Francois-Martin Kavel - 1861-1931 Frank Duveneck (1848-1919) american painter - That summer afternoon in my garden Frederick Childe Hassam - Femme à l'ombrelle dans un parc 1891 Frederick Frieseke (1874-1939)  Woman with a Parasol, c. 1906 Frederick Frieseke (American artist, 1874-1939) The Garden George Laurence Nelson (1887-1978 Américain)- Helen in her garden Henri Gervex (1852-1929)- portrait de mlle Valtesse de La Bigne Henri-Matisse - femme à l'ombrelle James Ensor (18690-1949) - The Lady with the red parasol James Tissot (1836-1902) Jenny Nystrom-1854-1946 - The red parasol John Lloyd Strevens (British 1902-1990) John Singer Sargent (américain 1856-1925)- Promenade matinale Joseph Caraud (1821-1905) - The red parasol Jules Breton (1827-1906) - La femme àl'ombrelle 1871 Jules F Ballavoine (1855-1901) Karl Albert Buehr - Young woman with parasol Karl Albert Buehr -german-painter - Jeune fille à l'ombrelle -1910- Franois-Marie Firmin-Girard (1838-1921) - En vacances Monet - femme à l'ombrelle (Orsay) Monet - Femme à l'ombrelle Monet - jeune fille à l'ombrelle tournée à gauche (Orsay) Nikolay Bogdanov Belsky (russe 1868-1945) -russian painter -Lisant une lettre-1892 Paul Peel (canadien 1860-1892) Paul Sérusier (1864-1927)  - Mme Sérusier à l'ombrelle 1912 Paul Signac (1863-1935) Paul-César Helleu - 1859-1927 Pauline Palmer (1867-1938) Percy William Gibbs (british 1894-1937)  - Jour d'été Renoir - Lise ou la femme à l'ombrelle 1867 Richard S. Johnson (américain né en 1939) Robert Reid Lewis (1860-1929) - Lady with a parasol Robert Delaunay - Femme à l'ombrelle 1913 Richard S. Johnson - wild gardens and lace Suzanne Eisendieck (1908-1998) Victor Gabriel Gilbert (1847-1933) William Hounsom Byles-1872-1916 - The flower garden William John Hennessy-1839-1917 Angleterre William Paxton - The chinese parasol 1908 Vicente Romero Redondo (espagnol né en 1956) Tom-Roberts (1856-1931) - Lady with a parasol -Private-Collection Alexander Averin (russe né en 1952) Xie Chuyu

Carte postale du… Ciel

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" Gottes Zeit ist die allerbeste Zeit "  :

Le Temps de Dieu est le meilleur des Temps

Stephanie Ho and Saar Ahuvia, piano

Sonatine introductive de la Cantate de JS Bach BWV 106  (Actus Tragicus)

Transcription pour piano par György Kurtág

α – ω

 

P.S. La vidéo complète du voyage :

Avion céleste piloté par Tom Koopman

Les anges de l’équipage : Choeur et Orchestre Baroques d’Amsterdam

Les anges de cabine :

Soprano – Els Bongers
Alto – Elisabeth von Magnus
Tenor – Lothar Odinius
Bass – Klaus Mertens

Comment mieux traverser les Cieux ? !


L’autoroute pour Tahiti

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" Il faut choisir d’aimer les femmes ou de les connaître. " (Chamfort)

Brassaï ~ Colonne Morris - Paris, 1934

Brassaï ~ Colonne Morris – Paris, 1934

Paris commençait à allumer ses premières lumières ce dimanche soir d’automne, et envoyait ainsi à l’incessante pluie qui noyait la Seine depuis midi, un impératif signal de fin. Victor allait enfin pouvoir aérer sa machine à questions qui, toute la journée, l’avait transformé en lion dans sa cage. Faire quelques pas dans la fraîcheur du soir entre les reflets arc-en-ciel des pavés mouillés lui permettrait sans doute de trouver une explication aux étranges comportements de Katia. Il l’aime tant Katia…

Ils n’étaient pas bien nombreux les candidats à la promenade ce soir : en une vingtaine de minutes Victor n’avait croisé qu’un couple marchant serré au pas cadencé. Sa respiration trouvait maintenant un tempo plus calme et quelques idées positives osaient revigorer ses espérances. Ragaillardi, il shoota généreusement dans une boîte de soda, vide, abandonnée sur les pavés par l’incivilité trop habituelle d’un contemporain. Le bruit rugueux de la ferraille frottant le sol lui rappela qu’il aurait été tout de même mieux de la ramasser et de la mettre dans la poubelle qui à quelques centimètres seulement lui faisait de l’œil. Il en était encore temps.

Laszlo Moholy-Nagy - Autoportrait de profil-1922

Laszlo Moholy-Nagy – Autoportrait de profil-1922

À peine la cannette eut-elle touché le fond de la poubelle qu’une petite déflagration sèche claqua au milieu d’un nuage de fumée blanche jaillissant à la face stupéfaite de Victor. Le pas d’esquive qu’il avait spontanément esquissé, par réflexe, n’eut pas le temps de lui restituer complètement son équilibre. Déjà une voix de basse se mit à le haranguer d’un ton sec, partagé entre autorité et agacement. Elle sortait de la bouche parfaitement dessinée d’un petit homme chauve et replet en pantalon rouge froissé et t-shirt vert, et la fine moustache qui la surmontait comme un surlignage clownesque conférait étrangement à ce visage imberbe une touche de douceur espiègle plutôt inattendue :

- Bon, écoute-moi bien ! Hors de question qu’on y passe des heures ! J’suis ton bon génie. Je poireaute recroquevillé dans cette cannette de merde depuis un temps infini. Tu as fait ta B.A., tu l’as ramassée et jetée, parfait. Ça te vaut ma présence et mes services. Alors on va pas se la jouer classique, genre " Aladin et la lampe merveilleuse " du style  « tu fais trois vœux de conte de fée, j’te les réalise, t’épouses la princesse, tout le monde est content… etc. » Pas le temps ! Tu choisis un vœu, un seul et basta ! J’opère, j’te l’exauce et j’me casse. OK ?

Surpris, décontenancé, se demandant si il délirait ou si il était entré éveillé dans un rêve fou, Victor s’ébroua, comme un chien sortant de l’eau, et constatant que son génie en habit de sémaphore était toujours là, le regard impatient rivé sur lui, il finit par lui faire cette réponse dont la craintive timidité ne parvint pas à étouffer l’enthousiasme juvénile qui l’inspirait :

- Ah, oui, bien sûr, j’aimerais tellement aller à Tahiti, me baigner dans le lagon, manger des langoustes à tous les repas, admirer les danseuses dans le soleil, retrouver la trace de Gauguin… Mais j’ai un problème de taille : j’ai très peur de l’avion et je ne supporte pas le bateau qui me rend malade dès la première minute au port. Alors, puisque vous avez tout pouvoir et que vous voulez bien le mettre à ma disposition pour une fois, faites-moi donc une route jusque là-bas. Je pourrais ainsi voyager de Paris à Papeete en voiture. Et mon vœu sera réalisé.

Le génie haussa d’abord les épaules, puis le ton. Il lança :

- Mais, mon ami, t’es complètement barge ! Tu imagines une route jusqu’à Tahiti ? Tu vois le chantier ? Les engins, les terrassiers, les ponts, le bitume, les kilomètres et tout le toutim. Mais je suis tombé sur un maboul ! Comme d’habitude, les dingues c’est pour ma pomme !…  Allez, trouve-toi un autre vœu et qu’on en finisse !

Alors Victor, rattrapé par les questionnements de sa journée, la voix tremblante, confidente, tout juste audible  :

- Vous savez, j’atteins bientôt la cinquantaine et j’ai bien vécu, certes ; j’ai fait d’aimables rencontres, beaucoup ; j’ai failli me marier deux fois. Mais je dois avouer que je n’ai jamais réussi à comprendre les femmes. Si vous pouviez m’y aider… ?

Ce à quoi, le génie soudain décidé, sans même s’octroyer une seconde de réflexion supplémentaire, répondit avec ardeur :

- L’autoroute pour Tahiti !… Quatre ou six voies ?

Paul Gauguin, Fatata te Miti (Près de la mer), 1892 -National Gallery of Art, Washington

Paul Gauguin – Fatata te Miti (Près de la mer) – 1892 – National Gallery of Art – Washington


Un faubourg, un couteau, un tango… et Borges

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Le tango pourvoyeur de souvenirs, nous forge
Un passé presque vrai. Dans ce faubourg perdu
C’est moi qu’on a trouvé sur le sol étendu,
Un couteau dans la main, un couteau dans la gorge.
J. L. Borges, Le tango.

Tango rueEt, même après la rudesse de cette belle et juste vision, n’aurait-t-on pas la tentation, au risque de choquer,  de détourner vers le tango quelques uns des propos que Gide notaient sur la musique de Chopin, et de dire de cette musique mythique des faubourgs de Buenos-Aires telle qu’elle est servie par Astor Piazzola, son Maître absolu, qu’elle " propose, suppose, insinue, séduit, persuade ; qu’elle n’affirme presque jamais." ?
A quelle vérité, d’ailleurs, pourrait prétendre le reflet d’un souvenir nostalgique dans le miroir flou d’une larme ancienne ?
N’aurait-on pas encore l’envie d’aller chercher, comme Gide pour Chopin, ces vers exquis de Paul Valéry : " Est-il art plus tendre / Que cette lenteur ? " ?
Même si, comment l’ignorer, chacun sait que le couteau vengeur demeure toujours à portée de la main de l’ange aux cheveux noirs et qui conduit la danse.

Le temps d’un "Hiver à Buenos-Aires"Invierno Porteño –  pour s’en laisser persuader, et se laisser séduire, par des musiciens hollandais…

Et de belle manière !

Arrangement pour trio (Piano-Violon-Violoncelle) d’une des "Cuatro estaciones porteñas"
[Porteño : Habitant de Buenos-Aires, enfant d'émigrants, né en Argentine]

Et la voix de Valeria Munarriz pour entendre chanter ce que Borges dit au Tango :

 

ALGUIEN LE DICE AL TANGO

 

Tango que he visto bailar
contra un ocaso amarillo
por quienes eran capaces
de otro baile, el del cuchillo

Tango de aquel Maldonado
con menos agua que barro,
tango silbado al pasar
desde el pescante del carro.

Despreocupado y zafado,
siempre mirabas de frente.
Tango que fuiste la dicha
de ser hombre y ser valiente.

Tango que fuiste feliz,
como yo también lo he sido,
según me cuenta el recuerdo;
el recuerdo fue el olvido.

Desde ese ayer, ¡cuántas cosas
a los dos nos han pasado!
Las partidas y el pesar
de amar y no ser amado.

Yo habré muerto y seguirás
orillando nuestra vida.
Buenos Aires no te olvida,
tango que fuiste y serás.

QUELQU’UN DIT AU TANGO

 

Tango, toi que j’ai vu danser
Contre un long crépuscule jaune,
Par tous ceux qui étaient capables
De cette danse du couteau.

Tango venu de ce ruisseau, Maldonado,
Contenant plus de boue que d’eau,
Tango qu’on sifflait en passant
Depuis le siège du chariot.

Insouciant et effronté,
Tu regardais toujours en face,
Tango qui as été la joie
D’être homme et d’avoir de l’audace.

Tango qui as été heureux
Comme je l’ai été aussi,
C’est ce que dit mon souvenir ;
Le souvenir ce fut l’oubli….

Depuis ce passé que de choses
A tous deux nous sont arrivées !
Les départs avec les chagrins
D’aimer et n’être pas aimé.

Je serai mort, tu resteras
Coulant au bord de notre vie.
Pour Buenos-Aires pas d’oubli,
Tango tu fus et tu seras.

 


Apprendre

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Water is taught by thirst

Land – by the ocean passed

Transport – by throe -

Peace -by it’s battle told -

Love, by Memorial Mold

Birds, by the snow

Emily Dickinson (1830-1886)

Emily Dickinson (1830-1886)

On apprend l’eau – par la soif

La terre – par les mers qu’on passe

L’exaltation – par l’angoisse -

La paix – en comptant ses batailles -

L’amour – par une image qu’on garde

Et les oiseaux – par la neige



Lettre d’une Demoiselle à sa maman…

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Pierre Carrier Belleuse - Danseuse écrivant - 1890

Pierre Carrier Belleuse – Danseuse écrivant – 1890

A vous voir le nez en l’air, charmante ballerine, on vous devine bien perplexe devant votre page blanche. Comme on vous comprend, mignonne : pas toujours tâche facile de se confier à sa maman.

Pourquoi, déjà, ne pas tout simplement commencer par " Ah vous dirai-je Maman / Ce qui cause mon tourment…"  ? C’est assez classique. La suite viendra sans peine… Inspirée que vous serez peut-être par ces petites suggestions que je vous propose avec plaisir, comme autant de variations :

  • Évidemment je ne vous ferai pas l’offense de vous suggérer cette fraiche version enfantine qui prétend depuis toujours que les " bonbons valent mieux que la raison " ; vous avez passé – qui s’en plaindrait ? –  l’âge des bonbons, n’est-ce pas ?… et sans doute estimez-vous que le temps n’est pas venu de vous charger des chaînes de la raison  :

&

  • Vous pourriez suivre l’exemple de Sumi Jo, dont la voix de soprano est un régal permanent et  lire votre billet à maman, dans le texte que Adolphe Adam, en 1849 avait composé pour Coraline, l’héroïne de son opéra " Le toréador ou l’accord parfait " , à partir du thème d’une musiquette de 1761 "Ah vous dirai-je maman " ; ce thème, assurément, qui inspira au  jeune Mozart, quelques années après sa première publication, ses 12 célèbres variations. Et puis, si certaines phrases vous font défaut… faites donc quelques vocalises, c’est si simple :

Ah ! vous dirai-je, maman,
Ce qui cause mon tourment ?
Depuis que j’ai vu Clitandre,
Me regarder d’un air tendre ;
Mon cœur dit à chaque instant :
« Peut-on vivre sans amant ? »

[ ... ]

&

  • Et  d’ailleurs, pourquoi pas vos confidences sans un mot, juste avec des notes gracieusement frappées sur un pianoforte, dans la plus pure interprétation du divin Wolfgang  ? Après tout, nous ne sommes plus au siècle des Lumières, n’est-ce pas ?  – Qu’on le regrette ou qu’en s’en loue ! Vous enverrez une vidéo.  Steven Lubin, lui, a fait ce choix !  Il y a pire modèle… :

&

  • A moins que vos préférences n’aillent au piano moderne, pour des confidences à la manière virtuose de Fazil Say :

&

  • Enfin, si vous tenez absolument aux mots – la langue est si belle, je l’admets – écrivez sous la dictée de Colette Renard. Tout y est dit, si délicieusement… Mais vraiment, TOUT ! Hum…! Votre maman se fera une joie de recevoir de vos nouvelles…  Pour la ménager un peu, n’envoyez pas les images…

&

Et ne manquez pas, je vous prie, de présenter mes respectueuses salutations à Madame votre mère dont je pressens l’inquiétude…


Poème avec de l’eau (fragment)

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Lelius:

Parfois un mot, d’un être, parvient à nous faire espérer de l’homme. Quand se produit pareil miracle, il est un devoir pour chacun de le partager.

Originally posted on brigetoun:

Sans titre..Les maîtres de la guerre et de la paix

Habitent au dessus des nuages dans des Himalaya, des tours bancaires,

Quelquefois ils nous voient, mais le plus souvent c’est leur haine qui regarde :

Elle a les lumières noires que l’on sait

.

Que veulent-ils ? Laisser leur nom dans l’histoire

A côté des Alexandre, des Cyrus, des Napoléon,

Hitler ne leur est pas étranger quoi qu’ils en disent :

Après tout, les hommes c’est fait pour mourir, ou à défaut pour être tués

Ils sont, à leur façon, qui est la bonne, les serviteurs d’un ordre

Le désordre c’est l’affaire des chiens – les hommes, c’est civilisé

Alors à coups de bottes, à coups de canons et de bombes,

Remettons l’ordre partout où la vie

A failli, à coups de marguerites, le détraquer dangeureusement

.

A coups de marguerites et de doigts tendres, la main dans la main…

Voir l'original 196 mots de plus


Noires…

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Noires, du mystère qui les nimbent
Noires, des humus fertiles qu’elles exhalent
Noires, de l’ébène du sculpteur
Noires, de la suie des cierges qui l’implorent
Noires, de l’ombre des cryptes orientales
Noires, comme le sein d’Isis
Noires, couleur de l’homme sans Livre
Noires, comme un Nom avant le baptême
J’aime ces vierges qui ne le seraient plus,
Mères éternelles d’un enfant sans gloire encor’
Et qui, assises sur leurs trônes,
Gardent toujours les pieds dans un siècle païen.

Vierge noire - Rocamadour

Vierge noire – Rocamadour

Sainte Vierge, priez pour nous,
Vierge, Reine et Patronne, priez pour nous,
Vierge que Zachée le publicain nous a fait connaître et aimer,
Vierge à qui Zachée ou Saint Amadour
Éleva ce sanctuaire, priez pour nous…

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Mais quand la mère voit son fils bien-aimé, seul et abandonné de tous, expirer dans un grand cri (Vidit suum dulcem natum moriendo desolatum dum emisit spiritum), elle n’aspire plus qu’à le rejoindre.

Le " Rêve infini " devient " Divine extase "  lorsque Massenet l’accompagne au Royaume des Cieux :

Massenet : Oratorio " La Vierge " (Scène 4) – Soprano : Measha Brueggergosman

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Ajedrez (Echecs)

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Marcel Duchamp

Marcel Duchamp moulé vif

 

 Ajedrez (Echecs)

I 

En su grave rincón, los jugadores
Rigen las lentas piezas. El tablero
Los demora hasta el alba en su severo
Ambito en que se odian dos colores.

Adentro irradian mágicos rigores
Las formas: torre homérica, ligero
Caballo, armada reina, rey postrero,
Oblicuo alfil y peones agresores.

Cuando los jugadores se hayan ido,
Cuando el tiempo los haya consumido,
Ciertamente no habrà cesado el rito.

En el Oriente se encendió esta guerra
Cuyo anfiteatro es hoy toda la tierra.
Como el otro, este juego es infinito.

 II

Tenue rey, sesgo alfil, encarnizada
reina, torre directa y peón ladino
sobre lo negro y blanco del camino
buscan y libran su batalla armada.

No saben que la mano señalada
del jugador gobierna su destino,
no saben que un rigor adamantino
sujeta su albedrío y su jornada.

También el jugador es prisionero
(la sentencia es de Omar) de otro tablero
de negras noches y blancos días.

Dios mueve al jugador, y éste, la pieza.
¿Qué Dios detrás de Dios la trama empieza
de polvo y tiempo y sueño y agonías?

*

 

Jorge Luís Borges – en El hacedor (1960)

Dans leur grave retrait, les deux joueurs
guident leurs lentes pièces. L’échiquier
jusqu’à l’aube les retient prisonniers,
espace où se haïssent deux couleurs.

Irradiation de magiques rigueurs,
les formes : tour homérique, léger
cheval, reine en armes, roi, le dernier,
l’oblique fou et les pions agresseurs.

Quand les joueurs se seront retirés,
et quand le temps les aura consumés,
le rite, alors, ne sera pas fini.

C’est à l’orient qu’a pris feu cette guerre
dont le théâtre est aujourd’hui la terre.
Comme l’autre, ce jeu est infini.

II

Roi faible, torve fou, et acharnée,
La reine, tour directe et pion malin
Sur le noir et le blanc de leur chemin
Cherchent et se livrent un combat concerté.

Ils ne connaissent pas la primauté
De la main qui gouverne leur destin,
Ils ignorent qu’une rigueur sans frein
Commande leur journée, leur liberté

Le joueur lui aussi est prisonnier
(Omar l’a dit) d’un tout autre échiquier
Où blancs sont les jours et noires les nuits.

Dieu pousse le joueur et lui, la dame.
Quel dieu derrière Dieu, tisse la trame?
Poussière et temps et songe et agonies?

*

J-L Borges, extrait de La proximité de la mer, Une anthologie de 99 poèmes
nrf Gallimard, 2010 – Trad. Jacques Ancet

 

Jean-Louis-Ernest Meissonier - Joueurs d'Échecs (19ème) Honoré Daumier - 1863 Boris Eremeevich Vladimirsky Edwin Lord Weeks USA 1879 - A game of chess in Cairo street Boris Dubrov Ludwig Deutsch (1855 – 1935) The Chess Game. 1896 Max Barascudts (1869 – 1927) Nicolo di Pietro (XVème) St augustin et Alypius - visite de Ponticianus

Les pièces de cette galerie sont toutes empruntées au site suivant, une richesse formidable d’illustrations sur le thème des Echecs :

Art & Echecs


Peindre l’enfer, peindre sa vie

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Quand le poète peint l’enfer, il peint sa vie :
Sa vie, ombre qui fuit de spectres poursuivie ;

Victor Hugo – " Les voix intérieures " – 1837

Dante et Béatrice - Giardini di Villa Melzi - Bellagio

Dante et Béatrice – Giardini di Villa Melzi – Bellagio

Par delà toutes les raisons que l’on peut trouver à Dante – ce poète romantique "par excellence", selon l’expression de Stendhal – pour avoir fasciné Franz Liszt, une seule prophétie de la "Divine Comédie"  pourrait suffire à expliquer l’enthousiasme du musicien hongrois du XIXème siècle pour le poète florentin du XIIIème. Elle tiendrait en cette conviction affirmée par Dante que la musique résonnera en l’éternité du Paradis.

Mais les accents de ce Paradis ne résonnaient-ils pas déjà dans l’oreille du compositeur plongé dans sa quête spirituelle, au cours des années 1830, au milieu des harmonies florales des jardins de la villa Melzi, sur les bords du lac de Côme ? C’est là, assis au pied de la statue de Dante et Béatrice, que Liszt écoutait la tendre voix de Marie d’Agoult lui lire les vers de la Divine Comédie.

C’est sans doute au début de l’année 1839 que Liszt conçoit déjà à partir du "Fragment dantesque" qu’il a écrit pour le piano, ce qui plus tard sera sa "Dante symphonie".

Avant toutefois de devenir cette riche composition pour orchestre, ce "fragment", subissant les modifications que le compositeur lui apportera jusqu’en 1849,  va se transformer en monument du répertoire pianistique : la "Fantasia quasi sonata"  autrement appelée "Après une lecture du Dante". Œuvre inspirée par un poème de Victor Hugo auquel d’ailleurs le titre a été emprunté. Pièce déjà en avance sur son temps, certes, et parmi les plus exigeantes du répertoire pour le piano.

Ainsi va s’écouler pendant plus de 15 minutes, comme improvisé par son narrateur, le flot d’un récit musical qui transportera l’auditeur au milieu des flammes de l’Enfer. Les basses du piano ouvriront pour lui les crevasses abyssales d’où surgissent les grondements effrayants du magma en fusion, le précipitant dans d’épouvantables dédales à la rencontre des âmes qui se lamentent.  Mais, traversant le martèlement sinistre des octaves, par instant soufflera une brise apaisante, le chant des séraphins qui montrent la voie vers la béatitude. Toute la mystique de Liszt est ici concentrée, toute la force de son ascèse s’y exprime.

Laissons Arcadi Volodos jouer notre guide – difficile d’en trouver un meilleur –  dans ce voyage initiatique, comme Virgile le fit pour Dante. Et si parfois nous trouvons trop profondes les ténèbres ou trop forte la lumière, ne nous détournons pas, restons attentifs et suivons le conseil du "Virgile serein qui dit  : Continuons! "  Nous entendrons s’ouvrir, joyeuses, les portes de l’Éternité.

Après une Lecture de Dante

Quand le poète peint l’enfer, il peint sa vie :
Sa vie, ombre qui fuit de spectres poursuivie ;
Forêt mystérieuse où ses pas effrayés
S’égarent à tâtons hors des chemins frayés ;
Noir voyage obstrué de rencontres difformes ;
Spirale aux bords douteux, aux profondeurs énormes,
Dont les cercles hideux vont toujours plus avant
Dans une ombre où se meut l’enfer vague et vivant !
Cette rampe se perd dans la brume indécise ;
Au bas de chaque marche une plainte est assise,
Et l’on y voit passer avec un faible bruit
Des grincements de dents blancs dans la sombre nuit.
Là sont les visions, les rêves, les chimères ;
Les yeux que la douleur change en sources amères,
L’amour, couple enlacé, triste, et toujours brûlant,
Qui dans un tourbillon passe une plaie au flanc ;
Dans un coin la vengeance et la faim, sœurs impies,
Sur un crâne rongé côte à côte accroupies ;
Puis la pâle misère, au sourire appauvri ;
L’ambition, l’orgueil, de soi-même nourri,
Et la luxure immonde, et l’avarice infâme,
Tous les manteaux de plomb dont peut se charger l’âme !
Plus loin, la lâcheté, la peur, la trahison
Offrant des clefs à vendre et goûtant du poison ;
Et puis, plus bas encore, et tout au fond du gouffre,
Le masque grimaçant de la Haine qui souffre !

Oui, c’est bien là la vie, ô poète inspiré,
Et son chemin brumeux d’obstacles encombré.
Mais, pour que rien n’y manque, en cette route étroite
Vous nous montrez toujours debout à votre droite
Le génie au front calme, aux yeux pleins de rayons,
Le Virgile serein qui dit : Continuons !

Victor Hugo – " Les voix intérieures " 1837


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